Le Bateleur et Aleph -
Le Bateleur et Aleph
Après avoir exploré l’arcane sans nombre du tarot, le Mat (ou le Fou), commençons le périple du chemin initiatique du Tarot, en lui associant les lettres hébraïques, elles aussi au nombre de vingt-deux, elles aussi racontant l’histoire universelle de la Création et du Chemin.
2022, L’An 22, comme les 22 arcanes majeurs du tarot. Reliées à la Tradition, les 22 lames du tarot décrivent le parcours initiatique de celui qui s’est mis en chemin.2022, l’an 22, comme les 22 lettres de l’alphabet hébraïque avec lesquelles l’Eternel a créé le monde, selon les kabbalistes.
« Si vous prenez la première lame du Tarot et que vous la regardez attentivement, vous ne tarderez pas à voir que la forme du Bateleur, qui s’y trouve représenté, répond en tous points à celle de la lettre Aleph” (PAPUS, Le Tarot des Bohémiens).
Il existe en effet une analogie entre les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et les 22 arcanes majeurs du Tarot de Marseille. Les deux séries représentent un chemin initiatique, une sorte de livre mystique qui raconte à la fois la création de l’Univers, celle de l’homme, de son intériorité, ou de chacune de ses actions. Un cycle éternel, qui se reboucle sur lui-même, tel l’Ouroboros ou le Lemniscate.
Avec LE BATELEUR, la première lame du tarot, nous sommes à la toute première étape du voyage, celle des préparatifs, avant le commencement mais déjà sur le chemin. Ce bateleur est parfois appelé LE MAGICIEN.
L’Apprenti, au début de son chemin maçonnique, dispose d’un certain nombre d’outils symboliques. Il ne sait ni lire ni écrire, mais il épelle le mot sacré, qui est un mot d’origine hébraïque. Il connaît donc l’alphabet avec lequel ces mots sont écrits.
Un, deux, trois, quatre
Le Bateleur est un tout jeune homme qui a déjà devant lui tous les éléments du tarot (donc du chemin) car sur sa table et dans ses mains sont exposés les « ancêtres » des 4 couleurs pique, trèfle, cœur, carreau, appelés denier (dans sa main droite), bâton (dans sa main levée, comme une baguette magique), coupe et épée (sur la table), représentant les signes des arcanes mineurs.
Symboliquement, il s’agit là de la représentation des quatre éléments de la nature : air, eau, terre et feu que le bateleur – l’initié – doit maîtriser. Souvenons-nous des voyages de l’impétrant qui, lors de son initiation, passe par les éléments pour y être purifié.
Eliphas LEVI dans son chapitre 1 (sur 22) du « Dogme de la haute magie » dit : « Tu es appelé à être le roi de l’air, de l’eau, de la terre et du feu ». Il parle ainsi de celui qui est en chemin et qui maîtrise la magie, c’est-à-dire la science traditionnelle des secrets de la nature.
Il cite aussi les quatre verbes du mage ou de l’initié : SAVOIR, OSER, VOULOIR, SE TAIRE.
Papus, quant à lui, fait référence aux quatre lettres du tétragramme : YHVH.
L’alphabet hébraïque est composé de 22 lettres, qui dérivent de hiéroglyphes, et qui possèdent chacune une valeur chiffrée, dite arithmologique. Aleph porte la valeur 1. C’est une représentation de l’unité.
La lettre Aleph se dessine à partir du tracé de deux lettres plus simples : 2 Iod et 1 Vav qui les relie, « comme un homme qui porte deux seaux », dit le poète Bialik. Comme la feuille de papier, qui présente un recto et un verso ; c’est une tri-unité.
2 Iod + 1 Vav : la valeur arithmologique est de 2×10 + 6 = 26, valeur des 4 lettres du tétragramme (Iod Hé Vav Hé, le nom ineffable, imprononçable, de Dieu, “que seul le silence peut définir”).
Tout cela confère à la lettre Aleph un statut « divin » : elle est à la fois unité, tri-unité, et équivalente au tétragramme.
Le Haut et le Bas
Le tracé de la lettre présente une symétrie : Le Vav central lie les deux Iod, qui sont le reflet l’un de l’autre. Ce qui est en bas est un reflet de ce qui est en haut. Aleph lie les Eaux d’en haut, la réalité au-delà de la Nature, le Monde invisible, la spiritualité, aux Eaux d’en bas, le monde de la Nature, l’Univers manifesté, le “temple intérieur de l’homme”, dans la matérialité.
Comme il est à la fois l’UN et le TOUT, l’arcane nous montre symboliquement qu’il est à la fois masculin et féminin, mais aussi haut et bas, c’est-à-dire ciel et terre :
- Le bas de la figure représente la Terre ornée de ses productions, symbole de la Nature.
- Le milieu est occupé par l’Homme.
- Sur le haut de la figure est représenté le signe du 8 couché – appelé aussi lemniscate, qui symbolise l’infini et l’univers ; Papus le nomme le signe divin de la Vie universelle.
- La droite et la gauche de la figure sont occupées par les mains du Bateleur dont l’une est abaissée vers la Terre, l’autre élevée vers le ciel avec sa baguette. Il fait le lien entre le haut et le bas.
- Papus ajoute que la position de ses mains figure les deux principes, actif et passif, du Grand Tout, et répond aux deux colonnes du temple de Salomon.
« Aleph représente un homme qui élève une main vers le ciel et abaisse l’autre vers la terre », selon Eliphas Levi. L’Homme est intermédiaire entre Terre et Ciel, entre matérialité et monde spirituel.
Le mot Aleph signifie « taureau », et la forme de la lettre dérive d’un hiéroglyphe représentant une tête de taureau. Ce tracé comprend le symbolisme des cornes, comme des antennes, comme une couronne : une connexion vers le haut.
Aleph est l’une des trois lettres mères selon les Kabbalistes (avec Mem-liée à l’eau et Schin-liée au feu). Elle symbolise l’air (intermédiaire entre terre et ciel), et correspond dans le corps à la poitrine, encore un intermédiaire. Le chakra du cœur.
Au Commencement
Le Bateleur a donc tous les atouts en main pour commencer, ce qui veut dire que nous avons déjà tout le potentiel en nous pour que la magie opère.
Le bateleur c’est donc le début. Il est tout autant l’enfant du chemin de l’existence, que le tout jeune apprenti, les pieds en équerre, qui vient de sortir du cabinet de réflexion et qui a tout à sa disposition pour démarrer son chemin.
La Bible hébraïque commence par le mot Bereshit, qui, selon les traducteurs, signifie « au commencement » ou « dans le principe ». La première lettre de la Torah est donc le Bet de Bereshit, deuxième lettre de l’alphabet, de valeur 2, création du monde de la dualité.
L’Aleph, qui la précède, se situe donc avant la création du monde manifesté, en-deçà de l’origine de la matière, du temps et de l’espace. La lettre ne produit pas de son. Elle sert de support aux voyelles. L’alefbet commence donc par un silence : Le silence de Dieu qui a précédé la « Parole ». Le projet, l’intention… L’idée qui précède l’action. Le Principe qui précède le Verbe.
Avant le commencement : l’Aleph, la source, qui nous interroge tous sur l’origine du monde, de notre propre existence, de nos actes, de nos idées… Qu’y avait-il avant le Big Bang ? Où étais-je avant d’être née ? Comment naissent mes pensées ? Toutes ces questions pointent vers le mystère. Un silence.
Conclusion
Comme l’indique Jodorowski, le Bateleur représente un Initié et un Mage, l’Esprit créateur, l’Unité fécondante, l’Homme appelé à s’élever et qui fait descendre le ciel sur la terre.
Dans le Zohar l’éternel dit à Aleph : “je n’aurai d’unité qu’en toi”. Aleph contient toutes les lettres. Il contient matière, temps et espace condensés. Il contient toutes les pensées, tous les actes. Un non-état fait de potentialités. Ainsi que l’énonce notre Rituel, “Omnia ab uno et in unum omnia” : Tout en un et un en tout.
L’initié, le pèlerin sur le chemin des 22 Arcanes, est conscient de cette unité, et va en retrouver le parfum, à la recherche du Point Central.