LA TRANSMUTATION SPIRITUELLE SELON TEILHARD -
LA TRANSMUTATION SPIRITUELLE SELON TEILHARD
Dalida, dans sa chanson « Comme disait Mistinguett » chantait : « On dit que mon meilleur copain, c’est Teilhard de Chardin, c’est vrai, c’est vrai ». Alors je vous propose une brève approche de cet homme exceptionnel. Entré au noviciat de la Compagnie de Jésus à 18 ans il est ordonné prêtre à 30 ans, en 1911. Les études philosophiques et théologiques des Jésuites sont particulièrement longues et ardues. Dès lors il s’intéresse à l’évolutionnisme et développe une vision évolutive du cosmos et de l’univers. Après avoir été brancardier héroïque pendant la guerre de 14-18, il rédige ses méditations, ses élévations mystiques, ses essais philosophiques, mais ses articles se voient censurés ou refusés à cause de la frilosité du monde jésuite. Dès 1920 il enseigne la géologie et la paléontologie à l’Institut Catholique de Paris et réalise plusieurs expéditions scientifiques en Chine. Rentré à Paris en 1924, il est dénoncé au Vatican parce qu’il a laissé entendre dans une lettre privée à un de ses confrères que les théologiens seraient peut-être obligés de modifier l’explication traditionnelle du péché originel. Immédiatement il est interdit de tout enseignement et renvoyé très loin en Chine, en véritable exilé, avec la consigne de se borner désormais à ses fouilles et à ses publications d’ordre scientifique. Circulez, y’a rien à voir… Écartelé entre sa foi chrétienne et son aversion pour le rigorisme de l’Eglise, Teilhard refusera toute sa vie de rompre avec l’Eglise officielle. En effet rompre serait quitter le courant du fleuve, sortir de la réalité même de cette Eglise qu’il espère amener à dépasser ses scléroses de l’intérieur. Il rédige « Le Milieu Divin », mais Rome s’opposera à toute publication. En décembre 1929, il participe à la découverte du « Sinanthrope de Pékin », ce qui confirme sa vision du monde et la preuve que l’évolution s’applique également à l’homme. Bloqué en Chine pendant la seconde guerre mondiale, Teilhard rédige « Le Phénomène humain », mais la publication lui en sera toujours refusée par Rome. Rentré enfin à Paris en mai 1946, Teilhard constate avec plaisir que ses œuvres circulent « sous le manteau ». Devant l’engouement de ses idées Teilhard est d’autant plus indésirable en France aux yeux du Saint-Office. Il part pour de nouvelles missions en Afrique du Sud puis se réfugie aux Etats-Unis où il meurt en 1955. En dehors de ses écrits scientifiques et de ses articles de vulgarisation, Teilhard n’a jamais obtenu, de son vivant, l’autorisation de publier ses essais personnels ni son œuvre de penseur. À sa mort « Le Phénomène humain » est publié. Aussitôt le Saint-Office demande aux évêques de retirer des bibliothèques des séminaires et des institutions religieuses toutes les œuvres de Teilhard. Mais son œuvre immense voyait enfin le jour. Teilhard n’était pas un alchimiste au sens propre du terme, il ne s’essayait pas à la transmutation des corps, mais, passionné des pierres, il s’est confronté à la matière pour essayer d’en dégager une sorte de Plan divin et surtout pour expliquer le processus de spiritualisation de cette matière. Or la notion de « natura naturan-da » nous parle. Ainsi lorsque lors de notre initiation nous évoquons la nature naturante, nous sommes complétement dans l’univers de création continue de Teilhard. Aujourd’hui, je voudrais seulement indiquer combien son axe de réflexion nous est proche. L’Univers aux yeux de Teilhard possède un sens, à la fois direction et signification. Les corpuscules dont est composé l’Univers vont s’organiser, s’unir et former ce que Teilhard appelle des « arrangements » qui vont du simple au complexe, d’abord des molécules, puis des cellules, des tissus, etc. selon une complexité croissante. Il ne s’agit pas d’agglomération ou de juxtaposition, mais d’union entre les éléments naturels qui agissent les uns sur les autres et dont chacun est indispensable à la structure de l’ensemble. Ainsi se réalise une forme de synthèse amenant un supplément de vie et d’âme dans le monde. Cette union qui crée de l’être, quelque chose de nouveau, par un processus d’émergence, Teilhard l’appelle « l’Union créatrice ». C’est ce qui différencie un énorme rocher, simple amalgame de corpuscules arrangés de façon très simple d’une petite fourmi qui présente une structure infiniment plus complexe. Teilhard écrit dans « L’avenir de l’homme » : « Il existe, se propageant à contre-courant à travers l’Entropie, une dérive cosmique de la Matière vers des états d’arrangement de plus en plus centro-compliqués, ceci en direction d’un troisième infini. Infini de Complexité, aussi réel que l’Infini [du temps] et l’Immense [de l’espace] ».
Selon lui, la Vie n’est pas un phénomène surajouté à quelque chose d’inerte. C’est une sorte d’énergie qui existerait comme « sous pression » partout dans l’univers. Cette énergie est comme sous-jacente dans les corps supposés inertes, sous une forme imperceptible que Teilhard nomme : la « Pré-Vie ». Souvenons-nous de la question qui nous a été posée lors de notre passage sous le bandeau : « Considérez-vous comme probable, que la vie réside au sein des trois règnes de la Nature ? »… La dualité de la Matière et de l’Esprit n’existe pas pour Teilhard. Et sa conception de ce qu’il appelle « L’Esprit-Matière » est fondamentale. Il n’y a pas, concrètement, pour Teilhard de la matière et de l’esprit, mais il existe seulement de la matière en voie de spiritualisation. C’est pourquoi pour lui tout est sacré. « Un en Tout et Tout en Un », cela nous parle, c’est dans notre Rituel d’Initiation. L’évolution franchit un pas, il y a environ 4 milliards d’années et la Vie s’est alors mise à foisonner, au long de milliers de siècles, en des myriades de tâtonnements, d’essais, d’échecs, de réussites. Tout s’est donc passé comme si, en avançant lentement au long de l’axe de la complexité croissante, l’Evolution avait en vue l’augmentation progressive de la Conscience. Ainsi après la conscience animale, l’Evolution franchit un nouveau seuil qui mène à la Pensée Réfléchie. L’animal pense, l’animal « sait », mais l’homme est le premier sur la Terre à « savoir qu’il sait ». C’est le commencement de la liberté. S’il n’y avait que du déterminisme il n’y aurait pas de liberté. S’il n’y avait que du hasard il n’y aurait que du chaos. Et maintenant l’homme est capable « de diriger sa propre évolution ». L’évolution universelle passe, avec l’Homme, par un seuil critique : celui où elle s’est elle-même suscitée un collaborateur. Dans notre langage nous utilisons le terme de « Régent » de l’univers. L’Homme est désormais capable de collaborer à l’Evolution, d’y participer de façon active. Le transhumanisme commence… Cette humanité, encore actuellement dans un état d’enfance, va prolonger ainsi à une échelle planétaire le processus essentiel qui porte la matière à s’organiser en éléments toujours plus complexes de conscience réfléchie. C’est ce réseau, entourant notre planète, comme une sorte d’atmosphère de conscience, que Teilhard appelle la « Noosphère », sorte de super humanité, que Teilhard appelle « l’Ultra-humain », composée d’hommes libres, cultivant leurs différences, pour apporter à l’ensemble une participation dynamique, mais liés entre eux par des relations d’amour. Dans notre langage, il s’agit de la construction du Grand Temple de l’humanité. Du clan primitif, le groupe humain a passé à l’organisation en villages, en villes, en provinces, en nations. A l’heure actuelle se dessine le groupement par continents et déjà l’individu humain est amené à penser en termes planétaires. Mais la « Mondialisation » telle que nous l’envisageons en ce moment n’est pas vraiment la conception de Teilhard. Le terme « Globalisation » correspondrait mieux, car l’humanité socialisée, dans le sens où l’entend Teilhard, est au contraire un ensemble de personnes qui ne se sentent nullement soudées entre elles par une contrainte, mais par un désir profond de coopération libre. Et, effectivement, au niveau humain, tout se passe comme si, en dépit des dissensions, des luttes et des guerres, un mouvement général d’unification commençait à se faire jour. Et malgré les obstacles immenses, car nous ne sommes pas sortis de l’ère préhistorique, il est possible d’imaginer l’espèce humaine formant un Tout, même si les cataclysmes toujours possibles peuvent aboutir à des régressions momentanées. Les progrès de l’Évolution se mesurent en milliers de siècles et la vision de Teilhard est grandiose : « La terre s’enveloppant d’une seule enveloppe pensante, jusqu’à ne plus former fonctionnellement qu’un seul vaste Grain de pensée à l’échelle sidérale » (Le Phénomène Humain). Il écrit aussi : « L’amour est la plus universelle, la plus formidable et la plus mystérieuse des énergies cosmiques ». L’optimisme de Teilhard est sans faille. En dépit des apparences transitoires, il croit en un avenir meilleur. C’est le fameux point Oméga, convergence et aboutissement des lignes maîtresses du « cône » de l’Évolution. Tous les éléments épars rassemblés (ça nous parle : rassembler ce qui est épars) s’enroulent autour d’un axe complexité-conscience, éternellement montant, pour chercher à atteindre l’Unité Totale située au point Oméga. Ce mouvement de centration et d’union est un courant qui porte vers l’Esprit, comme la conscience nous relie au Divin. Devant le bruit et la fureur du monde matérialiste horizontal, l’inquiétude grandit et on a pu parler de « désenchantement du monde ». Mais l’œuvre visionnaire de Teilhard est un véritable chant du monde et de l’univers. Gardons de Teilhard l’idée que la montée de la conscience est une montée vers la Lumière.
Mar MIC