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Le Soleil et la Lune
Qui n’a pas, au moins une fois dans sa vie, assisté au spectacle d’un soleil levant ?
Qui n’a pas été émerveillé par un coucher de soleil, ou été réchauffé par la douce chaleur d’un soleil printanier ?
Qui n’a pas observé la beauté quasi-surnaturelle d’une pleine lune nimbée de brumes, ou été impressionné par une énorme lune rousse dans une nuit sans étoile ?
Quand les diverses pollutions de nos villes n’effaçaient pas encore le ciel nocturne, nos ancêtres se plaisaient à contempler les astres dans lesquels ils voyaient une manifestation de l’ineffable grandeur divine.
Grâce au Soleil, qui rythme l’alternance des jours et des nuits, les premiers hommes ont pu avoir un repère fondamental pour la mesure de l’année et des saisons, indispensable aux travaux agricoles.
Avec l’appréciation des phases de la Lune, facilement observables, ils ont pu mettre en place un moyen simple de mesurer des périodes de temps plus longues.
Ils ont nécessairement dû s’interroger sur l’étrange influence de l’astre de la nuit sur les marées, le sommeil, le comportement de certains animaux ou encore sur la fertilité des femmes, la durée du cycle lunaire étant curieusement proche de leur cycle menstruel.
Par leur sens aigu de l’observation, leur rigueur et leur ingéniosité (des qualités qui font encore l’admiration des scientifiques actuels), nos ancêtres surent déterminer aussi l’apparition d’autres phénomènes liés au Soleil : solstices et déplacement apparent devant les constellations du zodiaque.
C’est ainsi que furent élaborés les premiers calendriers, au centre de la vie de l’homme : tant dans sa vie spirituelle et religieuse, que dans sa vie matérielle par la nécessité d’anticiper la survenue des saisons pour les récoltes, les semailles, la transhumance des troupeaux, etc.
Sur tous les continents, les pères de nos pères ont levé leurs yeux vers la voûte étoilée et pris conscience, dès le tout début de l’histoire humaine, de l’importance du Soleil et de la Lune et de leur impact vital sur toutes les grandes étapes de leur existence, mais aussi sur le monde qui les entourait. Hommes, bêtes, plantes, eaux du ciel et de la terre : rien n’échappe à l’influence de l’Astre du jour et de l’Astre de la nuit. Il ne faut donc pas s’étonner que le Soleil et la Lune prirent une place centrale au cœur des premières civilisations au travers des mythes, des religions et des cosmogonies.
Tantôt binôme époux/épouse, tantôt binôme frère/sœur, ou parent/enfant voire deux binômes à la fois, le Soleil et la Lune ont la plupart du temps été représentés comme un couple indissociable, à l’image de la dualité évidente jour/nuit qu’ils symbolisent.
La prédominance de l’un ou l’autre dans les panthéons antiques, sous les appellations de « cultes solaires » ou « cultes lunaires » a donné lieu à de nombreuses interprétations complexes sur lesquels je ne m’étendrai pas. Je constate simplement que toutes les religions ont divinisé le Soleil et la Lune, en leur accordant un statut plus ou moins important, voire majeur (l’exemple le plus connu est le culte du disque solaire Aton institué par Amenophis IV/Akhenaton).
Je vais me contenter ici de vous livrer un bref tour d’horizon de ces divinités solaires et lunaires en vous citant quelques noms dont certains feront sans nul doute écho en vous.
Le Soleil a été vénéré sous les noms de Râ ou Aton en Égypte, de Shamash en Mésopotamie, de Mithra en Perse, d’Appollon ou Hélios en Grèce, de Sol dans la mythologie nordique, de Sol Invictus à Rome, de Taranis ou Bellenos dans la mythologie celte, d’Amaterasu dans le shintoïsme, de Sūrya dans l’hindouïsme.
Quelques exemples pour la Lune, cette fois : Khonsou et Thôt en Égypte, Sîn en Mésopotamie, Séléné et Artémis en Grêce, Luna et Diane à Rome, Belisama et Sirona dans la mythologie celte, Tsukuyomi dans le shintoïsme, Soma dans l’hindouïsme…
À la dualité évidente jour/nuit a souvent été associée une opposition de genre entre les deux luminaires célestes. Selon les religions et les époques, le genre appliqué à l’un et à l’autre n’a pas toujours été le même, bien que le Soleil soit le plus fréquemment considéré comme le principe masculin, actif et la Lune comme le principe féminin, passif.
Le Soleil et la Lune, deux principes de même nature, complémentaires et opposés. Je conçois ainsi le sens symbolique qui est donné aux deux luminaires célestes qui ornent l’Orient de part et d’autre du Delta lumineux. Deux aspects du principe Créateur, dont ils sont la manifestation la plus visible, la plus éclairante, tant au sens propre qu’au sens figuré.
Le delta lumineux, triangle avec un œil en son centre qui symbolise le G∴A∴D∴L∴U∴, forme un deuxième triangle dont il est le sommet et le Soleil et la Lune, les deux points de la base. J’ai le sentiment que ce deuxième triangle fait écho dans notre univers au triangle inconnaissable qu’est le Principe créateur, comme pour nous inviter à réfléchir sur la vraie nature de notre monde. Un monde où toute la création, de l’infiniment petit à l’infiniment grand est le reflet en bas de ce qui est en haut. Notre Soleil et notre Lune sont là pour nous le rappeler.
Le Soleil est donc le pôle actif, Yang, et sa lumière, qui peut brûler les yeux de celui qui le regarde en face est l’allégorie par excellence de la Connaissance, du Grand Œuvre alchimique.
Dans un de ses traités, l’astronome Nicolas Copernic, qui remit en cause le système géocentrique, écrivit à son propos :
- Au centre de toutes choses, on a le soleil. Est-il imaginable de trouver site plus radieux en ce temple admirable d’où cet astre pût, tel un flambeau, illuminer d’entrée tout ce qui est ? Il est très pertinent de lui donner le nom de lumière, de pur esprit, de maître de l’univers. Pour Hermès Trimégiste, c’est un dieu invisible, pour l’Electre de Sophocle, rien n’échappe à ses regards. Et c’est ainsi que le soleil, du haut de son royal trône, mène ses enfants qui l’encerclent de leur course.» (Nicolas Copernic, De revolutionibus orbium caelestium,1543)
Ce n’est certainement pas anecdotique si Copernic cite Hermès Trimégiste car c’est de son vivant que les cultes à mystères de l’Ancienne Égypte connurent un engouement certain suite aux traductions du Corpus Hermeticum dans la deuxième moitié du XVe siècle.
Comme dans les courants gréco-hermétiques, le Soleil était à nouveau considéré par les penseurs de la Renaissance comme le symbole de la lumière divine et de l’illumination spirituelle. On retrouve cet esprit dans toute la littérature alchimique, comme par exemple dans les traités du mystique rosicrucien anglais Robert Fludd, astrologue et alchimiste de son état.
Cette pensée perdura dans la tradition d’inspiration égyptienne jusqu’à nos jours ainsi qu’en témoigne notre Rite.
Les cartes du Tarot sont, par la richesse des illustrations des lames majeures, une source d’enseignements symboliques sur laquelle je me suis aussi penchée.
L’arcane XVIIII (19), la lame du Soleil, figure l’astre dont les 75 rayons inondent sous forme de gouttelettes bleues, blanches, jaunes et rouges deux personnages. Ceux-ci sont jumeaux, seulement vêtus d’un pagne bleu et se touchent de la main en nous faisant face, le dos tourné à un mur de pierres. Les explications de cette lame sont multiples mais une en particulier revient souvent au sujet des jumeaux. Ils sont l’allégorie de notre dualité intérieure, et le soutien et la compassion qu’ils expriment l’un à l’autre est claire : c’est par l’apaisement de nos conflits intérieurs, par l’union de notre part émotionnelle, sensible avec notre part intellectuelle, analytique, que nous pouvons recevoir la lumière spirituelle que dispense généreusement le disque solaire.
Pour d’autres auteurs, les jumeaux représenteraient Cautes et Cautopates, deux personnages du mithraïsme, culte à mystères originaire de Perse et qui s’est propagé dans tout l’Empire romain avant d’être supplanté par le christianisme. Cautes et Cautopates sont deux porte-flambeaux qui assistent le dieu Mithra lorsque celui-ci sacrifie le taureau. Ils portent le bonnet phrygien, symbole des initiés et de leur origine perse.
Cautopates, le plus souvent à gauche, porte une torche dirigée vers le bas, tandis que Cautes, à droite de Mithra, tient une torche dirigée vers le haut. Beaucoup voient dans cette scène la représentation du Soleil dans tous ses aspects. Mithra est le Soleil en gloire, dans toute sa puissance. Cautes avec sa torche pointée en haut symbolise le soleil levant, le début de la vie, tandis que Cautopates et sa torche en direction du sol manifeste le soleil couchant et la mort. Nous voici à nouveau face à cette éternelle opposition entre la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit.
Une même opposition, un équilibre des contraires unit notre 19ème arcane du Tarot, le Soleil, avec le 18ème arcane, celui de la Lune. Dans cette lame, la Lune ressemble furieusement au Soleil si ce n’est qu’un profil dans un croissant est dessiné à l’intérieur du disque rayonnant. Les gouttelettes de lumière colorées que dispensait le Soleil semblent ici être aspirées par la Lune. Une nature identique mais un sens opposé.
Les deux personnages en dessous du luminaire céleste ne sont plus des jumeaux cette fois, mais deux loups ou un chien et un loup. Ils se font face et paraissent hurler. Toute la lame est dans des tons froids, bleutés : les animaux, la Lune, l’eau se trouvant sous les loups et de laquelle émerge une écrevisse colorée en bleu également. Nous avons quitté le monde lumineux et chaud du Soleil pour celui froid et sombre de la Lune. On dit bien souvent que les opposés ne sont que les deux facettes d’une même réalité. C’est bien ce message que le Tarot nous fait passer, et les deux tours crénelées qui se dressent en arrière-plan de la lame de la Lune renforce un peu plus ce sentiment. La naissance est une venue à la lumière du Soleil tandis que la mort est une immersion dans les eaux sombres de l’oubli, où la seule lumière est le reflet blafard que renvoie la Lune.
Faut-il pour autant se contenter de cette seule interprétation plutôt négative ? Je ne pense pas. L’arcane XVIII (18) ne nous a pas encore tout révélé. Tout a une double nature. Les jumeaux Cautes et Cautopates, figures symboliques du Soleil à son lever et coucher sur la lame du Soleil, ont leurs équivalents sur la lame de la Lune. Les deux chiens qui semblent se nourrir des rayons de l’astre de la Nuit sont en réalité les compagnons de la chasseresse divine, la déesse de la Lune, vénérée sous les noms de Diane, Artémis ou Hécate. Ces chiens sont cerbères, c’est à dire gardiens de l’Autre Monde, et psychopompes, aptes à guider les âmes des défunts.
Dans la mythologie grecque, la Triade lunaire était composée d’Hécate, Séléné et Artémis. Hécate figurait la nouvelle lune ou lune noire, symbolisant la mort. Séléné figurait la pleine lune, symbolisant la naissance, et, enfin, Artémis figurait le croissant de lune symbolisant la maturité dans le cycle de la vie.
Voici la face cachée de la Lune, qui prenait un malin plaisir à nous laisser entrevoir qu’un monde de nuit et de désespérance !
Souvenez-vous de ces fameuses gouttelettes de lumière, de sens opposé, sur chacun des deux arcanes. Après notre naissance dans le monde de la lumière, nourri et réchauffé par l’astre solaire, vient le temps de la réintégration dans la clarté lunaire. Un temps d’examen de conscience, de retour sur soi avant une nouvelle naissance. Cette notion de réintégration de l’âme se retrouve dans la religion sumérienne, et les courants hermétiques et gnostiques.
«C’est à La Lune, écrit Virgile, que retournent, après leur dissolution, tous les êtres ; ils ne meurent point : vivants, ils vont se réunir aux astres, et se transportent sur les hauteurs du ciel.» (Virgile, L’Énéide, Livre VI, vers 226-227)
Hermès Trimégiste relaie cette même idée en énonçant dans le Corpus Hermeticum que «dans la dissolution du corps matériel, tu livres ce corps lui-même à l’altération… L’homme s’élance désormais vers le haut à travers l’armature des sphères, et, à la Lune, il abandonne la puissance de croître et de décroître» (Hermès Trismégiste, Corpus Hermeticum, traité I : Poimandrès, 25-26)
À la remontée de l’âme s’ensuivra le processus inverse de descente de l’âme pour une nouvelle incarnation.
Soleil et Lune sont autant opposés que complémentaires dans le long cheminement de l’âme humaine, le jour succède à la nuit et la nuit au jour, sans fin. Comme tout symbole, ils sont doubles : Le Soleil n’est pas seulement la Vie et la Lune n’est pas seulement la Mort. Chacun d’eux porte une petite part de l’autre, comme le Yin et le Yang.
Nos deux luminaires célestes, symboliquement présents de part et d’autre du delta lumineux, au-dessus du V∴M∴ nous accompagne, éclaire notre chemin et nous invite, à l’aube de notre existence comme au crépuscule de notre vie à toujours lever la tête et contempler le ciel.
J’ai dit, Vénérable Maître
MBT