MORCEAU D’ARCHITECTURE de la RL ASET-ASTARTELacs d’amour… méditations, vagues et divagations en plusieurs dimensions -
Lacs d’amour… méditations, vagues et divagations en plusieurs dimensions
Lorsque j’étais apprentie, je trouvais très poétique d’être entourés de lacs d’amour, et très agréable l’idée que nos travaux soient baignés des eaux tièdes et calmes de l’amour fraternel. Plus tard j’ai appris que ce sont des « las », et non des « lacs » ; Lacs prononcés non pas comme “lassés”, fatigués, mais comme « entrelacs », de la même famille que le verbe « enlacer » ou que le substantif « lacet » qui l’a détrôné dans le langage moderne, car il a le même sens, et présente moins d’homonymes.
Un lacet, petit “lacs” (du latin laqueus), est d’abord un nœud coulant (utilisé pour le braconnage par exemple). Ainsi, nos lacs sont un rappel visuel et étymologique du nœud coulant passé à notre cou le jour de notre initiation, tandis que nous entendions : « Cette corde symbolique n’est autre que l’image du lien fluidique reliant votre forme subtile à l’enveloppe charnelle que la mort matérielle vous a fait quitter ». La corde entourant notre Temple est peut-être, elle aussi, l’image d’un lien fluidique, reliant cet espace, que nous avons sacralisé tout à l’heure, et des espaces plus subtils…
Le sens de ce mot s’est ensuite diversifié : Le lacet impliquant, comme dans l’expression « route en lacet », un changement de direction dans le plan horizontal. En effet, l’observation de chacun des nœuds ponctuant notre corde montre des boucles plates ; la corde change bien de direction (démonstration avec un lacet) : elle tourne 2 fois à 180 degrés, passant successivement dessous, dessus, dessous, dessus, et ressort de la boucle dans la même direction que le brin de départ, mais avec un décalage correspondant à l’épaisseur de la corde. Parcourir la corde à nœuds c’est cheminer droit puis changer ponctuellement de direction 2 fois, avant de revenir dans le droit chemin un peu transformé, puis recommencer. Au contraire du labyrinthe, qui est un chemin continu en deux dimensions, la troisième dimension est nécessaire pour nouer un fil, pour faire se croiser les brins.
Outre le labyrinthe, on rencontre fréquemment une comparaison entre le lacs d’amour et la lemniscate, symbole mathématique de l’infini en forme de 8 couché. Pourtant, au contraire du lacs, la lemniscate est une boucle fermée, qui n’a ni début ni fin, d’où sa symbolique. De plus, la lemniscate n’est pas un nœud, les brins ne se croisent qu’une fois. La lemniscate serait plutôt comme un ouroboros un peu tordu.
Les « lacs », qu’on peut trouver sous le nom de nœuds de huit, ont une particularité : une fois serrés, ils ne glissent pas, ne coulissent pas : ils divisent donc une corde en segments, qui ensuite gardent la mesure (à condition que la corde ne soit pas élastique). D’ailleurs, la corde dont nous parlons est fréquemment rapprochée de la corde à 13 nœuds des Égyptiens, ou des bâtisseurs du Moyen-âge, appelée aussi corde d’arpenteur (figure 1). En effet, si l’on forme sur une corde, 13 nœuds régulièrement espacés, on dispose de 12 segments de mesure identique, qui permettent de construire le triangle 3-4-5, triangle rectangle, dit triangle d’Isis (figure 2). On a construit en quelque sorte une équerre en corde, qui peut permettre des tracés géométriques, servant ensuite de base à des constructions. Les premiers tracés initiant la délimitation des fondations d’un édifice sacré se font grâce à cette corde d’arpenteur. Nous en aurons une illustration très belle lorsque, un jour, notre Atelier vivra le rituel de consécration de Loge. Qui plus est, les 12 intervalles servant de mesure à l’espace, sont un rappel de la mesure du temps, douze mois, douze signes dans le zodiaque, douze heures de midi à minuit. Le Temple est situé autant dans l’espace que dans le temps. A moins que simplement il soit juste ici, et maintenant, tout le reste n’étant que souvenirs ou projections…
Quel plus beau symbole de l’ici et maintenant que la Chaîne d’Union. Les lacs d’amour figurent symboliquement les liens entre les maçons pendant la chaîne d’union. Bras croisés, le droit sur le gauche, reliés par les mains dans une chaîne vibrante, qui rassemble tous les Maçons passés, présents et à venir dans un même « maintenant » au-delà du temps et de l’espace. Le mot « maintenant » du latin manu tenendo s’entend main-tenant. D’ailleurs pour tenir notre frère ou notre sœur lors de la chaîne, on reproduirait davantage la forme d’un lacs d’amour en posant poignet contre poignet, pouls contre pouls, et en entourant l’avant-bras de nos voisins avec nos doigts. Je suggère que nous formions la chaîne de cette façon tout à l’heure, en étant attentifs à la forme que prendra la vibration de l’égrégore.
Au contraire du fil à plomb ou du pendule, qui ne sont attachés qu’à une extrémité, lorsque l’on fait vibrer une corde retenue à ses deux extrémités, comme une corde de piano ou de guitare, ou comme notre chaîne d’union, les vibrations, en se réfléchissant, conduisent à la formation d’une onde stationnaire. Sans entrer dans les détails, la corde vibrante forme des arcs en mouvement appelés ventres (figure 3). Entre les ventres se trouvent des points particuliers qui sont immobiles. En physique, un point où l’amplitude de l’onde stationnaire est toujours nulle est appelé un nœud. Les ondes stationnaires peuvent affecter tous les phénomènes vibratoires : mécaniques, sonores, optiques, etc., et les milieux qui sont concernés peuvent être à une dimension (comme une corde d’instrument), deux dimensions (comme les vaguelettes sur une surface d’eau, ou les membranes vibrantes de tambours qui font des motifs lorsqu’on y verse du sable, appelés figures de Chladni (figure 4)), ou trois dimensions (comme le volume intérieur d’une église ou d’une cathédrale, vis-à-vis du son d’un orgue par exemple).
Dans le Temple, pendant la Chaîne d’Union, chaque contact entre les mains de deux maçons est un Nœud du maintenant, sur l’onde stationnaire qui parcourt la chaîne.
Notre Temple, entouré d’une corde nouée de Lacs d’Amour, est érigé à l’image du macrocosme et du microcosme.
J’ai envie d’appliquer l’image de ces vibrations, et des nœuds immobiles qui persistent dans le milieu vibrant, à la formation du macrocosme… Lorsque l’Univers s’est constitué, l’Energie s’est densifiée en matière, et la vibration du Logos a réparti et structuré cette matière en train de se condenser. Les endroits où se condense cette matière, comme le sable s’accumule sur un tambour à certains endroits, seraient des nœuds. Notre système solaire est un condensé de matière au centre d’une bulle de vide, les astrophysiciens le disent bien. Lorsque l’on contemple les images de l’univers que la science nous propose (figure 5), on voit que la gravité ordonne la matière le long de fins filaments perdus dans des zones de vide, et que les endroits où la matière est présente font des motifs ressemblant à ces figures de Chladni, un peu déformées. Un peu aussi comme les motifs que font les vaguelettes de la surface de l’eau, lorsque les rayons du soleil les projettent dans le fond d’une piscine (figure 6).
On pourrait généraliser le concept… Après le macrocosme, le microcosme.
Appliquons-le à la période de notre vie, les événements de l’existence en seraient les nœuds, et la vie quotidienne le lien entre les nœuds… Les curieux hasards et autres coïncidences pour lesquels Jung a inventé le terme de synchronicités, peuvent être vus comme des nœuds spatiotemporels d’un type particulier, des points où les convergences font sens, où deux événements se retrouvent rapprochés, créant des agrégats de sens. Nous-mêmes serions des nœuds, des condensations de conscience, de pensées et de sensations, reliés et faits tous de la même matière, dotés d’un cordon ombilical coupé et noué à la naissance, et nous dénouant à la mort physique, par une détente et une dilution dans le grand tout de la corde dénouée, sans plus de trace de cet étrange nœud, comme une vague qui se fond dans l’océan.
L’eau est la matière de la vague, la corde est la matière du nœud, l’amour est la matière du lacs.
La matière de l’univers serait-elle cet amour pur ?…
Est-il possible de prendre conscience dès maintenant de cette corde qui relie tout dans une chaîne d’union cosmique, au-delà du petit nœud limité de notre petite personne, de « nos petits nombrils » comme le chante Mathieu Chedid, sans attendre le dénouement de la mort ?
L’image du ruban de Moebius m’apparaît (figure 7). Un ruban plat, donc en deux dimensions, dont on a relié les deux extrémités, mais en le retournant avant de les fixer. Si l’on parcourt la surface du ruban avec le doigt, on passe du dessous au dessus sans s’en rendre compte : le ruban est fait de telle manière que le dessous et le dessus ne font qu’un, une seule surface continue. De même, la bouteille de Klein est une autre curiosité topologique (figure 8) : un objet en trois dimensions cette fois, dont les surfaces intérieure et extérieure se confondent. Le lacs d’Amour présente des caractéristiques similaires, avec une seule dimension cette fois (figure 9) : le brin est en même temps autour et dedans. Il ressemble à une représentation schématique en une dimension de la bouteille de Klein.
Que signifie tout cela ? Pourquoi est-ce que cela me parle au point de souhaiter le partager avec vous ? Je me rends compte que cela me rappelle une expérience très belle qui m’a marquée par le sens profond qu’elle transmet. Je vais oser la partager aussi avec vous, si vous êtes encore disposés à suivre mes enchaînements de nœuds et de liens. Pendant une retraite de plusieurs jours sur le thème de la spiritualité orientale, on nous a proposé une expérience : jouer à être un lac. Oui ! Un lac, avec un C qui se prononce, cette fois ! Couchée dans l’herbe, les yeux ouverts, le regard dans le ciel, je devais m’imaginer être un lac sans fond, qui reflète tout ce qui se présente sur sa surface (figure 10), et les autres participants du groupe devaient m’y aider. Après quelques minutes, j’ai vu arriver un ami dans mon champ de vision, au-dessus de mon visage, et il a fait mine de se regarder dans le lac que j’étais censée être ; en passant ses mains au-dessus de mon visage, il a fait semblant de les tremper dans l’eau, de s’y abreuver, et j’ai fait semblant d’y croire. Immobile, silencieuse et alignée, ma conscience était toute à l’histoire qui se jouait, et peu à peu je me suis oubliée. L’histoire n’avait pas besoin de mon petit moi personnel pour se jouer, mon ami, sur un fond de ciel bleu se reflétait à cet endroit d’où je le regardais, mais moi, je n’étais pas.
Comme un Janus à double visage (figure 11), qui à force de regarder devant et derrière, s’oublie dans la vision et disparaît. Une tri-unité où le recto et le verso se rejoignent et se fondent.
Voilà peut-être le pourquoi de cette planche : une recherche de connexions entre nos symboles maçonniques et cette expérience purement non-duelle, où je reflétais le ciel, les nuages, les amis, où telle une bouteille de Klein ou un ruban de Moebius, l’intérieur et l’extérieur, le dessous et le dessus, ce qui est en haut et ce qui est en bas, se confondaient, où il n’y avait plus rien à la place de la personne, plus rien qu’une vacuité accueillant le monde… Un lac d’amour.
Nous sommes tous ce lac, tous faits de la même eau, de la même corde, du même amour.
13 nœuds pour un triangle rectangle… ou triangle d’Isis . Onde stationnaire
Figures de Chladni, Représentation de l’univers Vaguelettes au fond d’une piscine
Ruban de Moebius… Bouteille de Klein… Lacs d’amour
Être un lac d’amour