Lyon, ville sacrée -
MORCEAU D’ARCHITECTURE de la RL NETJER
MORCEAU D’ARCHITECTURE de la RL NETJER
Lyon, ville sacrée
Lyon, ce sont d’abord pour moi des odeurs, des couleurs qui se fondent en une masse bigarrée de souvenirs, ce sont les escaliers de la maison familiale que je débaroulais étant gone, attiré par les effluves de bugnes tièdes que ma grand-mère avait confectionnées.
Lyon, ce sont ses ruelles et traboules des vieux quartiers que j’arpentais sans but ; ce sont les sombres souterrains de la Croix-Rousse que j’explorais avec quelques potes, au mépris du danger et des interdits, en quête de mystères et de frissons.
Lyon, ce sont les rayons du soleil levant aspergeant de teintes ocres et saumons les façades «à l’italienne» des maisons au bord de la Saône ; ou encore les dernières lueurs de l’aube sur la ville, que j’observais dans la quiétude du soir naissant, assis sur les gradins du théâtre antique.
Au fil des années, le charme ne s’est jamais rompu, car Lyon garde ses secrets tout en distillant son histoire bimillénaire dans chaque pierre, gargouille et quartier, à l’attention de ceux dont les yeux voient, dont les oreilles entendent et dont l’âme cherche à comprendre.
Mon parcours initiatique m’a sensibilisé un peu plus encore aux symboles et à la magie de cette cité, à cette vieille dame mi-fée, mi-sorcière qui m’avait déjà envoûté et volé mon cœur depuis mon plus jeune âge.
L’ancienne Lugdunum est sacrée depuis ses origines, par sa situation géographique et par les légendes et rites qui ont contribué à sa fondation mythique, à l’image de Troie ou de Rome.
Mais ce n’est pas tout.
À l’instar des murs d’une demeure qui se chargent au contact de ceux qui y ont vécu, accumulant au cours des siècles toutes les « énergies émotionnelles » de ces habitants, Lyon a été durablement imprégnée des figures charismatiques qui y ont séjourné, des courants mystiques, ésotériques, spirituels et occultes qu’elle a abrité.
Lyon est née sur une colline, qui accueillit sous la domination romaine le vieux forum (Forum Vetus), à l’origine de son nom actuel de Fourvière. Située sur le territoire des Ségusiaves, peuple gaulois de la région du Forez, la colline, avait certainement toutes les caractéristiques que les Celtes attribuaient aux tertres et collines : un lieu sacré, passage vers le Sidh, l’Autre-Monde.
Baignée par la lumière solaire et s’ouvrant sur les ténèbres du monde d’en-bas, cette dualité se retrouve dans le nom de la colonie romaine, fondée en 43 avant notre ère : Lugdunum.
Si « Dunum » signifie « colline », le préfixe « Lug » a fait couler beaucoup d’encre quant à son étymologie. Il faut tordre le cou ici à une croyance encore bien ancrée selon laquelle celui-ci serait une référence au dieu Lug. Car de culte à ce dieu majeur de la mythologie celtique, nulle trace ne fut retrouvée en Gaule.
C’est dans la légende de la fondation de Lugdunum, rapportée par le Pseudo-Plutarque que l’on peut trouver des éléments de réponse.
Dans «De fluviis», le Pseudo-Plutarque conte l’histoire de deux personnages, le druide Momoros et son frère, le roi Atepomaros (en gaulois « le très grand cavalier »).
« Momoros et Atepomaros, ayant été chassés du trône par Sesroneos, vinrent, d’après l’ordre d’un oracle, sur cette colline pour y bâtir une ville. On creusait des fossés pour les fondements, quand tout à coup des corbeaux, se montrant et volant çà et là, couvrirent les arbres d’alentour. Momoros, qui était habile dans la science des augures, appela la ville Lugdunum. car dans leur langue un corbeau se nomme lugos, et un lieu élevé dunu, ainsi que nous l’apprend Clitophon au livre 13e des Fondations. »
Lugdunum est donc la « colline aux corbeaux ». Le corbeau était un animal sacré chez les Celtes, d’une nature plutôt chthonienne, car il accompagnait le soleil aux enfers pendant sa course nocturne. Cet oiseau noir, lunaire, était mis en opposition avec le cygne blanc, symbole solaire de pureté.
Or, Momoros, le nom du druide fondateur signifie « le cygne ». Un cygne établissant une ville selon la volonté divine sur la colline aux corbeaux : il n’y a pas de symbole plus évident de la dualité de Lugdunum, comme le sont le pavé maçonnique ou le gonfanon baussant, l’étendard des Templiers ; comme un écho du principe de polarité d’Hermès Trismégiste :
« Tout est double, tout chose possède des pôles ; tout a deux extrêmes. »
Cette union sacrée des contraires, du Soleil et de la Lune, transparaît aussi dans l’emplacement de la ville, au cœur du Y, formé de la confluence du Rhône et de la Saône. Le Y, symbole de la féminité, de la fécondité s’oppose au symbole masculin de la colline.
La dualité fait partie intégrante de tout symbole. C’est la jonction de l’axe vertical avec l’axe horizontal, réalisée sur le terrain par le tracé du decumanus et du cardo, ce rite sacré qu’accomplit le général Munatius Plancus en octobre de l’An 43 avant notre ère, lorsqu’il établit la colonie romaine de Lugdunum. Une naissance placée sous le signe de la Balance, précise Jean-Jacques Gabut, auteur de «Lyon magique et sacré», symbole par excellence de l’équilibre, placé entre le signe ténébreux du Scorpion et celui lumineux de la Vierge.
Cybèle et Mithra
Les cultes principaux pratiqués à Lugdunum durant ses deux premiers siècles d’existence n’échappent pas à ce principe de polarité. Deux cultes à mystères, importés d’Orient, se sont développés ensemble à tel point que les temples de l’un avoisinaient les temples de l’autre. Il s’agit des cultes de Cybèle et de Mithra.
Cybèle est une déesse phrygienne, dont le nom signifie « la gardienne des savoirs » et était une des divinités les plus importantes du Proche-Orient.
Elle portait le titre de «Magna Mater», déesse-mère comme Isis, Déméter ou Astarté. Son temple originel à Pessinonte (sur le territoire de l’actuelle Turquie) abritait un bétyle, une pierre sacrée tombée du ciel de couleur noire, dont le nom, Kubélè, est à l’origine du patronyme de la déesse et n’est pas sans rappeler la Kaaba de la Mecque.
Cybèle était vénérée sur la colline de Fourvière, autrefois dédiée à la déesse gauloise Rosmerta «La Grande Dispensatrice», avant d’être substituée bien plus tard par la Vierge Marie.
Le culte de Mithra, quant à lui, implanté depuis près de deux siècles avant la naissance de Lugdunum était réservé aux seuls-initiés et sa proximité avec le christianisme lui valut d’être combattu puis supplanté définitivement par celui-ci au IVe siècle.
Et pour cause, vu le nombre de similitudes entre Jésus et Mithra : Naissance en tant qu’homme dans une grotte, sans géniteur, célébrée le 25 décembre ; attribution de titres tels que « Sauveur » ou « Bon Berger » ; thaumaturge, résurrection d’entre les morts célébrée annuellement, etc. Retenons que les cultes orientaux de Cybèle et de Mithra marquèrent de leur sceau la ville de Lyon et portaient en eux une tradition initiatique très ancienne qui côtoya pacifiquement le paléo-christianisme pendant plusieurs siècles, jusqu’à distiller en lui l’héritage de son savoir.
Pothin (85-177) et les montanistes
En dehors du fait que Lugdunum fut le lieu de naissance et de décès d’un certain préfet de Judée, Poncius Pilatus (Ponce Pilate), et le lieu de résidence de deux fils d’Hérode 1er le Grand, roi de Judée, la filiation du christianisme lyonnais a d’autres bien surprenantes particularités. Il y a à Lugdunum un lien johannique évident par le biais de son premier évêque, Pothin. L’étymologie grecque de son patronyme et de celui de plusieurs autres martyres chrétiens révèlent leur origine orientale, probablement d’Asie Mineure. Pothin fut en effet envoyé en Gaule par Polycarpe de Smyrne, disciple direct de l’apôtre Jean.
Il n’est pas improbable que Pothin fût un adepte du montanisme, courant gnostique chrétien qui fut déclaré hérétique l’année même où Pothin fut persécuté et exécuté avec une quarantaine d’autres dans l’amphithéâtre lyonnais des Trois Gaules, en 177, sous le règne de Marc-Aurèle.
Fait troublant : Montanus de Phrygie, fondateur du mouvement chrétien montaniste était un ancien prêtre de Cybèle. Il ne reconnaissait que le corpus johannique et rejetait le système hiérarchique du clergé. On le disait doué de glossolalie et médium, ses phases de transes extatiques le mettant en contact avec le Paraclet, l’Esprit Saint. Il appelait à un grand rigorisme, une ascèse physique et morale, professant l’importance de l’illumination par le Paraclet, elle-seule pouvant permettre d’accéder aux enseignements que le Christ n’avait pu transmettre de son vivant.
Parmi ses partisans, citons Irénée de Lyon qui fut le successeur de Pothin.
Selon Jacques Lasfargues, directeur du pôle archéologique du Rhône, il est probable que le prosélytisme provocateur des montanistes et leur recherche du martyre ait conduit à leur persécution. Sanglant épisode qui sera «retenu comme l’événement fondateur du christianisme de la Gaule romaine. »
Pierre Valdo (1140-1206) et les Pauvres de Lyon
Un millénaire plus tard, Lyon sera à nouveau le creuset d’une autre doctrine chrétienne, contemporaine du catharisme avec Vaudès, dit Pierre Valdo ou Valdès.
Valdès, né en 1140, était un riche marchand drapier de la Presqu’île, dans l’actuelle rue de la Poulaillerie, qui devint un ardent prédicateur du Christ. À l’âge de 30 ans, il finance une des premières traductions des évangiles en franco-provençal et fait don de toute sa fortune, cédant un quart à sa femme, un quart à ses deux filles, un quart pour ceux qu’il pensait avoir lésé et le quart restant pour les pauvres. Il prend la route, vivant de l’aumône et de la mendicité aux portes des églises.
Il prône la pauvreté en bien et en esprit, la charité active, les Saintes Écritures comme seule règle de la foi, et un sacerdoce universel, c’est à dire l’égalité des croyants baptisés pour prêcher et donner les sacrements. Il remettait donc en cause l’utilité des prêtres et de la messe, rejetait le culte des saints et les sacrements, ne conservant que le baptême et la communion, et fustigeait l’Église pour sa richesse.
De nombreux disciples le suivent, prenant le nom de « Pauvres de Lyon ». Ces vaudois, comme on les appelle encore, ont la réputation de pouvoir entrer en contact avec l’Esprit Saint et de soigner par imposition des mains.
Valdès et ses disciples sont rapidement condamnés par l’archevêque de Lyon et chassés de la ville. On les déclare coupables d’hérésie, puis de sorcellerie. Ceux qu’on surnomme les « ensabotés » parce que battant le pavé en sabots sont renommés par leurs détracteurs les « ensabbatés », c’est à dire des suppôts du Diable pratiquant le sabbat.
Les Pauvres de Lyon sont pourchassés, persécutés et Valdès excommunié en 1182. Sa doctrine sera condamnée par l’Église neuf ans après sa mort, en 1215.
Valdès n’était certes pas un initié, écrit Jean-Jacques Gabut. Toute sa vie il resta un marchand fort éloigné des préoccupations des hermétistes et des alchimistes du Moyen-Âge. […]Sa vie fut celle d’un prêcheur, d’un homme d’action animé seulement par une soif de justice et une volonté d’amour. Mais rien que pour cela, l’homme a droit à notre estime et notre respect. Les vertus qu’il prêchait sont celles des mystiques de tous les temps : la foi, l’humilité, la charité. »
Lyon la sacrée est une ville d’ombres et de lumière ; elle agit comme un aimant, attirant les illuminés de toute espèce, au sens noble comme au sens péjoratif. Elle est un athanor, ce creuset alchimique où s’effectuent toutes les phases du Grand Œuvre alchimique, sublimant les énergies spirituelles tout en calcinant les éléments les plus vils.
Avec Valdès, Lyon est précurseur du protestantisme, l’une des toutes premières villes d’Europe à appeler à un retour à la pureté originelle du christianisme primitif, bien éloigné de la religion de l’Église de Rome toute puissante.
L’investiture de Clément V (1305)
Un siècle après la mort de Valdès, un nouvel avertissement à l’Église est lancé sous la forme d’un épisode anecdotique mais lourd de sens.
Nous sommes alors en 1305. Le Roi Philippe le Bel, qui avait décidé de mettre fin à l’Ordre du Temple fait pression sur les cardinaux pour qu’ils choisissent un pape qui lui serait soumis.
Bertrand de Got, futur Clément V, est élu par le Conclave, et le roi de France impose Lyon plutôt que Rome pour le couronnement du nouveau pape.
En novembre 1305, Clément V est couronné en grande pompe dans l’ancienne église Saint-Just, rue des macchabées. Sous un froid glacial, un cortège conduit le pape, accompagné de Philippe le Bel vers le sommet de la colline de Fourvière. Lorsque la procession atteint la montée du Gourguillon, un mur de pierre s’effondre, tuant un grand nombre de personnes dont un des frères de Clément V. Le pape est jeté à bas de son cheval et s’en tire sans trop de mal si ce n’est avec la perte du plus beau joyau de sa tiare, d’une valeur inestimable, et certainement une immense peur après cet incident de sinistre augure.
Lorsqu’il s’éteindra un mois après la malédiction proférée par Jacques de Molay, comme pour faire écho au bûcher auquel il condamna le dernier Grand Maître des Templiers, un cierge renversé mit le feu au catafalque sur lequel reposait le pontife défunt, carbonisant partiellement sa dépouille.
François Rabelais (1483-1553)
À la Renaissance, Lyon devient une des plus grandes cités commerciales d’Europe, essentiellement par ses activités bancaires et l’industrie de la soie. La capitale des Gaules est aussi à cette époque la capitale de l’imprimerie, avec de nombreux artisans imprimeurs-éditeurs (Barthélémy Buyer, Étienne Dolet, Sébastien Gryphe, Macé Bonhomme) et des foires biannuelles, instaurées par Charles VII en 1420 et qui permettaient une diffusion massive et immédiate des ouvrages imprimés.
C’est donc tout naturellement que Michel de Nostre Dame, dit Nostradamus fait imprimer en 1555 ses fameuses Prophéties à Lyon, où il réside le plus souvent après Salon de Provence (rue juiverie)
De même, François Rabelais, nommé médecin à l’Hôtel-Dieu en 1532, s’installe à « Myrelingue la Brumeuse » (nom qu’il donne à Lyon), où il y écrira et y fera publier la majorité de ses œuvres.
Rabelais a des contacts avec la société secrète florentine d’inspiration templière, les Fidèles d’Amour, à laquelle appartint Dante et certains pensent qu’il aurait été proche des maçons opératifs, notamment au contact de Philibert Delorme, ésotériste et « Maître général des Maçonneries du Royaume. »
Au Moyen-Âge comme à la Renaissance, la plupart des corps de métiers étaient regroupés en corporations, véritables loges opératives.
L’imprimerie n’échappe pas à cette règle et les maîtres de la corporation du livre sont regroupés à Lyon, rue Mercière, au sein de l’AGLA (acronyme hébreu pour Athah Gabor Leolam Adonaï soit « Grand est le Seigneur dans l’éternité »)
« L’Agla, explique Robert Ambelain, fut une société ésotérique, groupant, à l’époque de la Renaissance, les apprentis, compagnons et maîtres des Corporations du Livre : libraires, graveurs, imprimeurs, papetiers et relieurs, ainsi que les cartiers, qui fabriquèrent les premières cartes à jouer et les premiers tarots. »
D’inspiration cabaliste, l’Agla initiera Rabelais à ses secrets, et toutes les références ésotériques dont il a truffé son œuvre en sont des preuves manifestes.
Citons pour exemple qu’il connaissait bien la lettre G, chers aux francs-maçons et aux alchimistes et si abondamment utilisé dans les patronymes de ses personnages : Pantagruel, Gargantua, Gargamelle, GrandGousier, etc.
Henri Corneille Agrippa de Nettesheim, dit Cornelius Agrippa (1486-1535)
Cornelius Agrippa est un autre membre prestigieux de l’Agla. Comme Rabelais, il occupe un poste de médecin à Lyon où il s’installe en 1524 et où il rédige l’un de ses plus prestigieux ouvrages : De philosophia occulta.
Véritable génie de la renaissance, pourtant moins connu que Léonard de Vinci ou Pic de la Mirandole, ce grand voyageur maîtrise huit langues, est docteur es-lettres et docteur en médecine et possède des connaissances immenses dans des disciplines aussi diverses que le droit, la théologie, l’hermétisme, la kabbale chrétienne, la magie, l’alchimie, l’astrologie ou encore la pédagogie, la cryptographie ou les sciences de la guerre et des explosifs.
Cornelius Agrippa ne doit bien souvent son salut que par la protection des rois car ses prises de position courageuses contre l’Église et l’Inquisition, ses écrits jugés subversifs et l’introduction de l’enseignement de la Kabbale à l’université le rendent coupable d’hérésie.
Je voudrais achever de brosser le portrait de Cornelius Agrippa avec quelques citations d’un de ses ouvrages qui montre à quel point ses vues novatrices étaient en avance sur son temps. Ce livre, rédigé en 1509 et publié 20 ans plus tard, traite de «la noblesse et l’excellence du sexe féminin, de sa prééminence sur l’autre sexe».
À l’heure où l’intégrisme islamiste est de plus en plus présent par le monde, asservissant la femme jusque dans nos sociétés laïques occidentales, ce traité reste toujours d’actualité un demi-millénaire plus tard.
« Nous voyons encore que les femmes ne sont pas moindres que les hommes, par l’excellence de leur esprit, la force de leur corps et la dignité de leur nature.
[…] Mais la tyrannie et l’ambition des hommes ayant pris le dessus, contre l’ordre du créateur et l’institution de la nature, la liberté, qui avait d’abord été accordée aux femmes, leur est ôtée aujourd’hui, me direz-vous, par les lois ; l’usage universel de tous les peuples y est opposé, et la manière dont on élève les femmes les en éloignent.
[…] Ce ne sont point les lois de la nature, ni du créateur, ni encore moins la raison qui les y obligent ; mais une malheureuse coutume, une fatale éducation, leur sort malheureux et un hasard injuste qui les y engagent. »
Pendant le XVIe siècle, le Royaume de France entre onze fois en conflit avec celui d’Italie pour la revendication du royaume de Naples puis du duché de Milan. Durant ces « Guerres d’Italie », les souverains de France font de Lyon leur seconde capitale, la base arrière et le quartier-général des troupes royales du fait de sa proximité géographique avec les états belligérants. L’installation de la cour de France à Lyon attire les banquiers florentins (Médicis, Gadagne), les commerçants vénitiens et génois, les savants (Giordano Bruno), les artistes (Corneille de Lyon), les poètes (Maurice Scève, Louise Labbé). Tout cela contribue au rayonnement culturel et économique de Lyon, véritable «centre humaniste européen» , à tel point que François 1er envisage un temps de faire de l’ancienne capitale des Gaules (jusqu’en 297 de notre ère), la capitale du Royaume de France.
Sous son règne, en 1535, est fondée à Lyon la « Fraternité de libres maçons ».
Ancêtre des loges maçonniques, il s’agit d’une corporation d’ouvriers-constructeurs qui veillent à la transmission des secrets et des perfectionnements dans l’art de bâtir. Protégées par le Saint-Siège qui les a exempt d’impôts et de corvées, ces fraternités envoient dans toute l’Europe leurs ouvriers afin de participer à la construction des églises et monastères.
Hélas, ce XVIe siècle s’achève à Lyon dans la souffrance et la désolation. Les inondations, les épisodes de famine et surtout les guerres de religion font fuir les marchands-banquiers italiens de la capitale rhodanienne, sapent l’économie locale et mettent à mal les industries du livre et de la soie. En cette fin de Renaissance, Lyon est tour à tour aux mains des protestants, après le sac sanglant du Baron des Adrets, puis le fief de la Sainte-Ligue, bras armé de l’Église catholique contre le protestantisme. Le jour funeste de la Saint-Barthélemy est suivi des Vêpres lyonnaises, massacres tout aussi sanglants. La violence répond à la violence et Lyon, qui avait abrité tant de confessions différentes dans la paix et la tolérance, devient le champ de bataille où s’entredéchirent les opposants et les partisans de la Réforme.
L’Âge d’or de la ville s’éteint en même temps que la Renaissance. Lyon devient une cité de second plan et traverse les deux siècles de l’Absolutisme sans éclat, ni prestige, en-dehors du domaine de la soierie où elle atteindra l’excellence et une renommée internationale.
Pendant deux cents ans, Lyon est léthargique. Sa ferveur religieuse s’est assoupie, son lien avec les énergies spirituelles s’est amenuisé au point de n’être qu’un fil ténu que les Parques, les antiques divinités de la destinée humaine, semblent prêtes à couper. Mais les trois sœurs, comme les soyeux lyonnais, maîtrisent la quenouille et le fuseau et décident parfois de reprendre le fil sur le métier pour en faire une belle étoffe.
À la fin du XVIIIe siècle, le temps est venu pour Lyon de s’éveiller, et de s’atteler plus que jamais au filage du cordon qui l’unit aux forces célestes. Un réveil douloureux car la Révolution est déjà en marche et l’opposition de Lyon à la Convention est farouche. Le Siège de Lyon, en 1793, qui verra la victoire des Républicains, fait des milliers de fusillés et de guillotinés. L’exode qui s’en suit est massif, si bien que la population lyonnaise passera de 150 000 habitants à 88 000 sept ans plus tard (1800).
Dans cette cité meurtrie par les luttes fratricides au nom de la religion ou de convictions politiques, les Francs-maçons vont incarner un nouvel élan spirituel. Pour Jean-Jacques Gabut, « face aux philosophes des Lumières, ils représentèrent souvent la « philosophie de la Lumière », celle de la Vérité et du Dieu unique qu’ils invoquaient au sein de ce que l’on a appelé « l’école mystique lyonnaise ».»
L’histoire de la Franc-maçonnerie lyonnaise débute officiellement en 1753, avec l’allumage des feux de la première loge historiquement reconnu à Lyon, «La Parfaite Amitié», à la Saint-Jean d’été, rue Garibaldi. Son premier V∴M∴ fut Jean-Baptiste Willermoz.
Cependant, d’autres sources attestent d’une origine maçonnique plus ancienne, près de neuf années plus tôt, confirmée par le fait que le fameux aventurier Giacomo Casanova est initié en avril 1750 à Lyon. Avec Cagliostro, Casanova fera partie des nombreux visiteurs italiens qui sont reçus dans une loge de Lyon, la ville ayant, par sa situation géographique, des liens anciens avec les grandes familles florentines, lucquoises et vénitiennes.
En 1755, la R∴L∴ «La Sagesse» est fondée place Kleber, dans le quartier des Brotteaux, puis en 1758 «L’amitié» et «Saint-Jean de Jérusalem» (dans le cloître de la basilique d’Ainay). Voient ensuite le jour jusqu’à la Révolution «Les Vrais Amis» à Saint-Rambert, «Le Parfait Silence» dans le quartier de Serin, «La Sincère Union» montée Saint Barthélémy, «La Parfaite Harmonie» et «La Bienveillance» montée du chemin neuf, «La Sincère Amitié» rue des Fantasques, «La Bienfaisance» rue Bugeaud, pour n’en citer que quelques-unes.
À la veille de la Révolution, trente-six loges réunissent plus d’un millier de frères dans la capitale des Gaules (5000 aujourd’hui répartis dans une centaine de loges). Lyon abrite alors le plus grand nombre de loges de France après Paris.
Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) et Louis-Claude de Saint-Martin ( 1743-1803)
Jean-Baptiste Willermoz est un négociant soyeux et maitre fabricant d’étoffes de la rue des Quatre-Chapeaux. Initié à l’âge de 20 ans, vénérable maître à 23 ans, Willermoz accède rapidement à tous les hauts-grades existant à l’époque.
En 1767, Il est reçu dans l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, par son fondateur, Martines de Pasqually. L’Ordre des Élus Coëns s’appuie sur la doctrine de la réintégration des êtres, des rituels de théurgie (magie divine) et un enseignement axé sur l’alchimie et le gnosticisme.
Un an plus tard, en 1768, Jean-Baptiste Willermoz est investi du plus haut grade des Élus Coëns, nommé Réau+Croix.
Par Martines de Pasqually, leur ami et maître commun, Willermoz entretient des liens fraternels avec Louis-Claude de Saint-Martin, disciple et secrétaire particulier de Martines de Pasqually. Il l’invite à passer deux années chez lui à Lyon, de 1773 à 1774, durant lesquelles il l’initiera à tous les grades de maçonnerie dont il disposait. Au cours de son séjour lyonnais, Louis-Claude de Saint-Martin, dit «le philosophe inconnu» rédige son premier ouvrage «Des erreurs et de la vérité». La cité lyonnaise est le creuset d’une émulation et d’échanges intenses entre ces deux plus grands humanistes et cherchants spirituels de leur temps. Ces échanges jouent un rôle clé dans la genèse de deux nouveaux courants majeurs de l’ésotérisme et du mysticisme, tous deux profondément ancrés dans le martinézisme, doctrine de Martinès de Pasqually : le martinisme et le rite écossais rectifié.
Louis-Claude de Saint-Martin a inspiré le martinisme, philosophie puisant aux racines de l’ésotérisme chrétien et au mysticisme théosophique et alchimique de Jakob Boehme. En plein siècle des Lumières, le martinisme va à contre-courant des philosophes et encyclopédistes en affirmant un rejet de l’obscurantisme, non par la seule science, mais par la voie méditative et initiatique intérieure, permettant de renouer avec la Sophia, l’aspect divin et féminin de la Sagesse qui donne à l’homme la pleine conscience de sa propre lumière et de sa nature divine.
Jean-Baptiste Willermoz, de son côté, fait une relecture complète des enseignements de Pasqually , durant deux années d’études avec Louis-Claude de Saint-Martin, connues sous le terme des « Leçons de Lyon », de 1774 à 1776. S’appuyant sur la doctrine de la réintégration des êtres et également sur le rite de la Stricte Observance Templière conçu par le Baron de Hund, à qui il proposera une alliance en 1772, Willermoz consacre la cité lyonnaise avec la tenue du Convent des Gaules, de novembre à décembre 1778.
Ce convent général de la Stricte Observance Templière ratifie le « Code maçonnique des Loges réunies et rectifiés » et le « Code des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte », signant ainsi l’acte de naissance du Rite Écossais Rectifié, entièrement pensé et codifié par Jean-Baptiste Willermoz.
Le R∴E∴R∴ se développe rapidement dans l’ancienne capitale des Gaules, fédérant plus d’un millier de frères à la veille de la Révolution française.
L’année de naissance du R∴E∴R∴ marque aussi l’avènement en France des théories du médecin allemand Franz Anton Mesmer qui postule l’existence d’un fluide subtil reliant tous les êtres entre eux et susceptible d’être canalisé. Pour transmettre ses techniques de magnétisme, Mesmer fonde une société magnétique « L’Harmonie universelle » sur le modèle des loges maçonniques. Procédant de la démarche inverse, plusieurs loges ouvrent des «loges parallèles» pour étudier et enseigner les techniques du mesmérisme. Encore une fois, la ville de Lyon ne déroge pas à son statut occulte : dès 1784, le chirurgien Dutreich, frère de la loge La Bienfaisance, créé la Société Harmonique La Concorde, rue Joseph Serlin.
Les travaux effectués à La Concorde vont bien au-delà des expériences magnétiques du docteur Mesmer puisqu’ils s’appuient aussi sur les découvertes de l’un de ses disciples, Armand de Puységur, maçon de la loge «La Candeur». Puységur était parvenu à plonger ses patients dans un état modifié de conscience, un état hypnotique que l’on nomme alors «somnambulisme magnétique ».
Pendant les premières années de son existence, la Société Harmonique la Concorde met à profit les dons d’une jeune fille, Jeanne Rochette, qui se montre capable, en état de «sommeil magnétique» de transmettre des messages de personnes décédées ou d’entités célestes à l’attention des vivants.
Ce n’est qu’un demi-siècle plus tard que l’on redécouvrira ce phénomène dont ont été témoins dans la cité lyonnaise Jean-Baptiste et Pierre-Jacques Willermoz et auquel on donnera le nom de médiumnité. Le caveau de la famille Willermoz se trouve au cimetière de Loyasse, le plus ancien cimetière de Lyon.
Guiseppe Balsamo, Comte de Cagliostro (1743-1795)
Lyon a été le berceau du rite écossais rectifié, mais aussi du Rite de la Haute Maçonnerie Égyptienne par son illustre promoteur, Cagliostro. Le comte de Cagliostro, créé le Rite de la Haute Maçonnerie Égyptienne au sein de sa loge la « Sagesse Triomphante » qu’il installe en décembre 1784 dans le quartier des Brotteaux, à l’angle de l’actuel cours Franklin Roosevelt et de la rue Boileau (6ème arrondissement). Sous le titre de grand Cophte, il diffusera ce rite dans toute l’Europe, lui intégrant les Arcana Arcanorum en 1804. Par la patente de ce rite que leur a transmis Cagliostro, les trois frères Marc, Michel et Joseph Bedarrides élaborent le Rite de Misraïm dans la République de Venise pour le réintroduire en France en 1814.
Cette intense et profonde activité mystique, qui se manifestait d’abord et surtout dans les loges maçonniques et courants illuministes trouva un écho jusque dans les plus hautes couches de la société lyonnaise. Elle continuera de se répandre dans toutes les institutions culturelles au début du XIXe siècle en engendrant un courant dénommé « L’École Mystique de Lyon ».
Soutenus par des scientifiques (André-Marie Ampère), des philosophes (Pierre-Simon Ballanche), des écrivains (Victor de Laprade) et des artistes (Paul Chenavard), l’École Mystique de Lyon «se caractérisait par une recherche d’unité entre les sciences expérimentales, les sciences de l’esprit humain et un catholicisme authentique.»
En ce début du XIXe siècle, l’École Mystique est l’extériorisation d’une véritable révolution spirituelle.
Avec l’invention du métier Jacquard en 1804, le monde de la soierie lyonnaise connait un essor fulgurant dans une société en pleine mutation, tiraillée depuis un siècle par la rupture entre science, philosophie et religion. C’est sur ce terreau d’une ville imprégnée d’une longue histoire spirituelle que peut se développer un «occultisme humaniste », notamment avec des figures telles que Allan Kardec ou Maître Philippe. «Les sciences occultes, écrit Pierre-Yves Landron, bibliothécaire à Lyon, sont pratiquées par des hommes de science, même si elles restent suspectes aux yeux de la science officielle ; pour cette raison justement, elles rencontrent un écho positif dans une frange de la population qui, dépassée par le positivisme radical de l’establishment, refuse cependant de se tourner vers une Église encore très dogmatique.»
Hippolyte Léon Denizard Rivail dit Allan Kardec (1804-1869)
Hippolyte Léon Denizard Rivail, né rue Sala, est d’abord un homme de science, attiré par la philosophie et la pédagogie avant de devenir le fondateur du spiritisme sous le nom d’Allan Kardec (nom qu’il pensait être le sien dans une vie antérieure où il était druide).
Disciple de Pestalozzi, pionnier de la pédagogie moderne, il rédige de nombreux manuels scolaires et ouvrages de pédagogie dont l’un lui vaudra un prix de l’Académie Royale d’Arras. En 1855, un magnétiseur lui fait découvrir le mystère des tables tournantes, phénomène nouveau venu des États-Unis. L’étude de ce phénomène au cours de nombreuses séances dans des cercles parisiens seront la base de son ouvrage : «Le Livre des Esprits» qui jette les bases de la philosophie spirite.
De nos jours encore, ce livre est l’un des plus lu au monde après la Bible. Père des mots «réincarnation» et «spiritisme» , Alan Kardec fonde un courant de pensée qui passera à la postérité, porté par de nombreuses personnalités de l’époque comme Victor Hugo, Arthur Conan Doyle, Camille Flammarion.
«L’homme n’est pas seulement composé de matière, écrit-il, il y a en lui un principe pensant relié au corps physique qu’il quitte, comme on quitte un vêtement usagé, lorsque son incarnation présente est achevée. Une fois désincarnés, les morts peuvent communiquer avec les vivants, soit directement, soit par l’intermédiaire de médiums de manière visible ou invisible.»
Il est étonnant de constater que l’œuvre de Kardec s’est quelque peu effacée de la mémoire collective lyonnaise, alors qu’en 1862, le nombre d’adeptes était d’environ 30000 dans la capitale des Gaules et de plus d’un million en France à sa mort en 1869.
Le spiritisme n’est pas qu’une doctrine philosophique et une science d’observation ; ce mouvement s’est fondu dans le mysticisme lyonnais pour lui donner une nouvelle dimension : un «ésotérisme social».
Cela se ressent au sein des cercles spirites et aussi dans la «Revue Spirite», publication fondée par Kardec et qui continue d’être diffusée de nos jours. Prônant la charité, la philanthropie, s’impliquant dans les œuvres sociales, le courant spirite «prend parti pour le vote des femmes, l’abolition de l’esclavage, l’abolition de la peine de mort, l’internationalisme et le pacifisme.» Après s’être étendu en Europe, le spiritisme s’est installé durablement en Amérique Latine et plus particulièrement au Brésil, où il est devenu une véritable religion et une institution reconnue d’utilité publique. Ailleurs, si le spiritisme rassemble près de 14 millions d’adeptes dans le monde , il se montre plus discret en France, mais toujours bien présent à Lyon, avec près d’une dizaine de centres spirites. En 1904, un siècle après la naissance de Kardec, deux femmes médiums, sur ordre d’esprits avec lesquels elles communiquent, fondent place de la Croix-Rousse une crèche spirite, unique en France, recevant et soignant gratuitement les enfants âgés de 15 jours à 3 ans, sans distinction de sexe, de religion ou de nationalité. Les êtres désincarnés vont même jusqu’à transmettre aux médiums les noms et adresses des mécènes susceptibles de financer le projet. En 1926, l’établissement est transféré rue Calas, au siège de la fédération spirite, et transformé en orphelinat. Le fédération spirite fonde également à la même époque un asile pour vieillards et nécessiteux. «Contrairement au catholicisme local, écrit le journaliste lyonnais Claude Ferrero, le radical-socialisme bon teint du maire Edouard Herriot, fait bon ménage avec ce spiritisme positiviste qui s’affiche comme une science humaniste et revendique une conscience sociale.»
Nizier Anthelme Philippe (1849-1905)
La guerre franco-prussienne de 1870, suivie des actions incessantes de l’État contre les associations dans le but de démanteler les groupuscules anarchistes déciment littéralement les cercles spirites. Pendant cette période tourmentée, un thaumaturge d’une vingtaine d’années, Nizier Anthelme Philippe, soulage et soigne blessés de guerre et malades dans le quartier de Perrache. En 1883, il installe son cabinet de consultation aux Brotteaux, rue Tête d’Or, où il recevra quotidiennement une à deux centaines de patients pendant plus de 20 ans. En 1895, à la demande de son ami et disciple Papus, Maître Philippe accepte la direction d’une école de magnétisme à Lyon. Deux ans plus tard, il créé un laboratoire clandestin dans le Vieux-Lyon pour fabriquer illicitement avec son gendre, la nuit, toute une gamme de médicaments et lotions. Clin d’œil de l’histoire, son laboratoire est installé 6, rue du Bœuf (à l’emplacement actuel de la «Cour des Loges»), dans la même rue où quatre siècles auparavant, travaillait un alchimiste nommé Jean, et qui aurait enseigné la magie au roi Louis XII.
La tombe de Maître Philippe, au cimetière lyonnais de Loyasse, est toujours, plus d’un siècle après sa mort, l’une des plus fleuries.
Jean Bricaud (1881-1934)
À Lyon, Jean Bricaud fréquente les milieux occultistes (Éliphas Lévi, Oswald Wirth, etc.) et la librairie Bouchet, établissement tenu par Gervais-Annet Bouchet, plus connu sous ses noms de plume Élie Alta et Élie Steel . Ce dernier est l’auteur de traités de sciences divinatoires, et de l’ouvrage « les archives secrètes de la Franc-maçonnerie », qui reproduisaient des documents (rituels, instructions, correspondances) des archives de Willermoz, complètements oubliés à cette époque. Si Bouchet n’a pas eu une notoriété immense, son œuvre est d’importance car elle a permis la résurgence à Lyon des traditions illuministes et des courants spiritualistes maçonniques qui avaient quasiment disparu du paysage scientiste de cette fin du XIXe siècle. Toujours grâce au libraire lyonnais, Jean Bricaud est mis en relation avec le docteur Emmanuel Lalande, ami de Papus, et gendre de Maître Philippe. Jean Bricaud s’inscrit à l’École de magnétisme de Lyon, dirigé par Maître Philippe le 6 décembre 1897 et deviendra l’un de ses disciples. Il s’initie ensuite à la kabbale et à la magie auprès du disciple d’Éliphas Lévi, Jacques Charrot. C’est à partir du début du XXe siècle que Jean Bricaud va devenir à son tour une figure majeure de l’ésotérisme en général et de la mystique Lugdunum en particulier. D’abord consacré Évêque de l’Église gnostique valentinienne en 1901, sous le nom de «Tau Johannes», il fonde six ans plus tard l’Église gnostique universelle qui deviendra en 1911, selon le souhait de Papus, l’église officielle de son Ordre Martiniste. Jean Bricaud est aussi un Franc-maçon initié au Rite de Memphis-Misraïm. Il cumulera les fonctions de Grand Maître de l’Ordre de Memphis-Misraïm, légat de l’Ordre Martiniste à Lyon, Patriarche de l’Église gnostique universelle et président de la société occultiste internationale.
Constant Chevillon (1880-1944)
Nous ne pouvons quitter Jean Bricaud sans évoquer son illustre successeur et ami intime : Constant Chevillon. Diplômé de la Faculté des lettres de Lyon, cet enseignant en philosophie religieuse fera finalement carrière dans le milieu bancaire après la première guerre mondiale. Bien que ses fonctions l’amènent à beaucoup de déplacements, « c’est au n° 22, rue des Macchabées, écrit Jean-Jacques Gabut, qu’est son port d’attache, auprès de l’excellente Mme Bricaud qui comprend cet homme solitaire poursuivant son ascèse initiatique en menant une vie quasi-monacale. »
Suivant les dernières volontés de Jean Bricaud, décédé en 1934, Constant Chevillon est installé dans une partie de la propriété de sa veuve.
Il lui succède comme Patriarche de l’Église gnostique et Grand Maître du R∴A∴P∴M∴M∴. Comme son ami, Constant Chevillon accédera aux plus hautes fonctions dans un grand nombre de filiations ésotériques : Grand Maître de l’Ordre des Chevaliers Élus Maçons Cohen de l’Univers (le martinisme lyonnais issu de la filiation Martinez de Pasqually), Grand Maître de l’Ordre Martiniste, Recteur de la Rose+Croix Kabbalistique et Gnostique.
« Une chose importante est à noter, écrit l’un de ses élèves, René Chambellant, à l’instar des grands Maçons tels Cagliostro, Martinez de Pasqually, J.-B. Willermoz, Constant Chevillon considérait que la femme, partie intégrante de l’humanité, devait avoir accès à l’initiation.»
Au Grand Convent de Memphis -Misraïm qui se tiendra à Lyon en 1938, il fera adopter l’initiation des femmes.
En 1939, il fonde la F.U.D.O.S.F.I. (Fédération Universelle Des Ordres, Sociétés et Fraternités des Initiés).
Hélas, avec la venue de la guerre, « Constant Chevillon était de ces hommes que les forces du Mal devaient abattre » (Jean-Jacques Gabut, Lyon magique & sacré). Le 19 août 1940, avec la loi d’interdiction et de dissolution des sociétés secrètes, le régime de Vichy commence sa répression et sa persécution des Francs-maçons. Pour le maréchal Pétain « Un juif n’est jamais responsable de ses origines, un Franc-maçon l’est toujours de son choix. »
Interdits de mandats politiques, évincés des postes de l’administration publique, les Francs-maçons subissent une «véritable chasse aux sorcières» et les journaux collaborationnistes et le journal officiel diffusent des listes de noms de membres d’obédiences maçonniques. En 1941, est créé le Service des sociétés secrètes, qui conduira au fichage de 60 000 Francs-maçons, 6000 Francs-maçons inquiétés, de plusieurs milliers de Francs-maçons déportés et de plus d’un demi-millier morts en déportation ou fusillés.
Constant Chevillon fera partie des victimes de cette traque inique. En septembre 1941, une première perquisition est effectuée dans son logement lyonnais, au domicile de Mme Bricaud par la Milice Nationale Française. En 1943, il est de nouveau inquiété par la Police Française qui lui confisque un manuscrit et des documents. Le dernier acte de cette tragique histoire a lieu le 25 mars 1944 au 22 de la rue des Macchabées, où des membres du Mouvement National Anti-Terroriste, officine lyonnaise de la Gestapo, accompagné d’un sous-officier allemand, viennent arrêter Constant Chevillon. Écoutons le témoignage d’Eugénie Bricaud
« Il m’a bien regardé, tout pâle, tout triste. On le fit monter en voiture. Les deux voitures partirent tous feux éteints dans la direction de la Descente de Choulans. » On retrouve son corps plus tard dans la soirée, vers 22h45, criblé de balles, jeté dans un fossé dans la Montée des Clochettes à Saint-Fons.
Constant Chevillon repose aux côtés de son ami Jean Bricaud, décédé 10 ans plus tôt, au cimetière de Francheville-le-Haut.
Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)
L’année 1944 marque aussi la disparition d’un autre lyonnais illustre : Antoine de Saint-Exupéry. Saint-Ex voit le jour 44 ans plus tôt au n°8 de la rue qui porte désormais son nom, non loin de la Place Bellecour.
Parmi ses œuvres littéraires, le petit prince, publié en 1943, est sans contexte l’un des plus grands contes initiatiques contemporains. Traduit en plus de 300 langues, il est le livre le plus traduit au monde après la Bible. Dans l’ésotérisme du Petit Prince, Emmanuel-Yves Morin écrit : « Fable autour de thèmes, messages et symboles permanents, Le Petit Prince peut être ainsi la Vérité première transmise sous forme de mots par un être « inspiré », (…) il est un fil d’Ariane pour chacun de nous, dans le Labyrinthe de l’existence. […] Nous ne saurions alors nous étonner de ce que certains trouvent les réponses à leurs angoisses ou à leurs hésitations dans ce Petit Prince, comme d’autres les trouvent dans Le Prophète, de Khalil Gibran, Jonathan Livingstone le Goéland, de Richard Bach, Siddhartha, de Hermann Hesse, sans parler de la Bible, de la Bhagavad Gita, et d’autres textes « sacrés », ouvrages véhiculant tous la Tradition. »
En parcourant cette fresque mystérieuse de l’histoire occulte de Lyon, il faut bien se saisir de ce secret que le renard a chuchoté à l’oreille du Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » Alors, évoquer bien d’autres maîtres spirituels lyonnais, ésotéristes, occultistes, philosophes, hermétistes, alchimistes, mages, thaumaturges, Francs-maçons, rose-croix, martinistes, templiers, gnostiques, et tant d’autres aurait été inutile ; car c’est dans les entrailles même de la cité lyonnaise qu’il faut chercher la source sacrée, le cœur spirituel, des galeries souterraines en arêtes de poisson sous la Croix-Rousse aux catacombes de Fourvière. L’antique Lugdunum, ville de Cybèle, est un athanor, un creuset alchimique.
Du fait de sa situation géographique, Lugdunum est située sur une ligne énergétique majeure (appelée ley line ou veine du Dragon), qui relie le Mont Saint-Odile au Mont Bugarach. Cela n’est pas dû au hasard, pas plus que les rites sacrés sous les auspices desquels la cité romaine a été fondée, sur la colline aux corbeaux. Le corbeau est à l’origine un animal solaire, compagnon de Wotan, attribut de Mithra, ou d’Odin, consacré à Apollon, et messager divin et/ou psychopompe sur tous les continents. Si cet animal, tantôt héros solaire, tantôt démiurge, messager ou guide a choisi la colline rhodanienne pour s’installer, c’est pour mieux marquer les esprits, la nature sacrée, céleste de ce haut lieu, qui reste encore de nos jours, comme le proclamait Jean-Baptiste Willermoz en 1785. J’ai dit.
Le Frère RB-T