Beth et la Papesse, archétypes de la Matrice Universelle -
Beth et la Papesse, archétypes de la Matrice Universelle
Par son rang et sa forme, la lettre Beth s’associe naturellement à la Papesse du Tarot, prêtresse du mystère selon Oswald Wirth. Parmi les différents Tarots, celui de Rider Waite, dans sa volonté d’universalité et de syncrétisme, fait figurer le mot TORA sur le parchemin ou le livre de la papesse. (Figure 1)
Après avoir remarqué les liens existant entre les deux premières arcanes, explorerons les points communs entre la Lettre et la Lame portant la valeur deux : symboles matriciels, reliés au binaire, ils sont des archétypes du féminin sacré détenteur et transmetteur de connaissance.
☿ Le lien entre les Arcanes 1 et 2
La Papesse, principe féminin, regarde le Bateleur avec bienveillance ; ce principe masculin, debout, dans l’action, qui lui fait face, et elle, le principe féminin posé, assise, tournée vers son intériorité (elle tient un livre).
Dans l’alphabet hébraïque, Beth tourne le dos à Aleph : il y a quelque chose avant le monde que nous ne pouvons pas comprendre. Avant le Beth, c’est le mystère. A propos de la petite patte à droite de la lettre Beth, la “coda”, si importante pour les calligraphes, le Bahir (ouvrage de Kabbale du Moyen-âge) dit : “c’est par la « coda » que Beth est ouvert en arrière”.
Comme Aleph et Beth, d’où sont sorties toutes les autres lettres de l’alphabet, les lames 1 et 2 sont indissociablement liées ensemble, telles deux pièces de puzzle. A tel point que le quatrième pied de la table du bateleur ne se trouve pas sur sa carte mais sur la carte de la papesse, sur le bord gauche, soutenant son livre. (Figure 2)
☿ La maison, la matrice du divin
Dans le Bahir il est écrit : “Pourquoi la lettre « beth » est-elle bouchée de tous côtés et ouverte devant elle ? Pour t’enseigner qu’elle est la maison du monde. Cela signifie que le Saint Béni Soit-il est le lieu du monde, mais le monde n’est pas son lieu« .
Le nom de la lettre signifie « la maison ». Le hiéroglyphe ressemble à une toile de tente avec un mât central planté en terre (Figure 3). C’est l’archétype de toutes les demeures, le refuge, la grotte, le sanctuaire, le temple, mais aussi le réceptacle, la matrice, et par extension la Mère protectrice.
Wirth ou Papus nous présentent la Papesse du Tarot comme étant la figure d’Isis ; le Rider Waite le traduit en donnant à sa prêtresse la coiffe d’Isis. On y voit également Ishtar, Astarté, Tanit, ou encore la Vierge Marie, toutes les représentations du Féminin sacré (Figure 4).
Au niveau du macrocosme, Beth représente la mère Nature, Isis « au voile teint des couleurs innombrables du monde », comme dit notre Rituel. Beth est la création, la matrice du divin. Dans les Clavicules de Salomon (Figure 5), Beth
apparaît comme la maison de l’Aleph, c’est la Nature qui contient le divin, le “Deus sive Natura” de Spinoza.
Au niveau du microcosme, Beth symbolise le corps, « tente » ou « temple ». Dans le Prologue de Jean il est écrit, à propos de Ieschoua : « il a planté sa tente parmi nous ». Le corps est passager, une simple tente faite de fine toile, mais il abrite une étincelle divine. Le creux de Beth, la maison de l’Aleph, c’est le fini qui contient l’infini.
☿ L’Arcane 2 : Le Binaire
La Bible commence par un Beth, l’initiale de son premier mot, Béréchit « au
commencement ». Béréchit est formé de bara – crée, et shit – se pose : c’est un mouvement en deux temps, création et repos, qu’on ressent bien à la lecture des premiers versets de la Genèse. Un rythme binaire, comme l’expire qui suit l’inspire.
Dans des versions modernes du tarot, qui ne sont plus des tarots dits de Marseille, comme celle de Rider-Waite, la papesse siège entre les deux colonnes Jakin et Boaz (Figure 1). Cette version de la Papesse nous met alors en parfaite relation avec le DEUX et la dualité. Notons que Eliphas LEVI, qui a écrit 22 chapitres dans son livre “Dogme et Rituel de Haute Magie”, a intitulé son second chapitre « les colonnes du temple ». Les colonnes du Temple de Salomon indiquent aussi le passage du profane au sacré.
A Beth, la deuxième lettre de l’alphabet hébraïque, est attribuée la valeur deux. Les deux serpents du caducée d’Hermès (Figure 6), les deux chérubins de l’Arche, les deux sphinx du chariot d’Osiris, ces couples symbolisent, selon Eliphas Lévi, les deux forces qui maintiennent l’Univers en équilibre : la force qui attire et celle qui repousse. Le mouvement et la vie consistent dans la tension entre ces deux forces. Notre monde est un monde de dualité. Dualité ne veut pas dire division, d’ailleurs les deux parties de la lettre sont reliées.
Beth est une lettre double : selon qu’elle est écrite avec ou sans petit point au creux de la lettre (Figure 7), elle a deux prononciations (“B” ou “V”). Beth est donc lettre double de valeur deux : le binaire se divise et se redivise encore, et ce faisant il se multiplie. « Le binaire est le premier nombre, c’est l’unité multipliée par elle-même », lit-on dans les Clavicules de Salomon. Beth est la source de la diversité, c’est le foisonnement de la vie. Pour Eliphas Lévi, “la connaissance implique le binaire : il faut à l’être qui connaît un objet connu”. La capacité de distinguer les choses les unes des autres, la capacité de différenciation, est attribuée à la Séfirah Binah de l’Arbre de Vie des Kabbalistes (Figure 8). Les Séfiroth supérieures Hockmah et Binah, Sagesse et Intelligence, sont appelées aussi Abba et Imma (père et mère).
☿ Le Féminin, transmetteur du secret
Le Tarot commence par le principe masculin avec le Bateleur puis le féminin avec la Papesse. Le Zohar dit : « Beth est la femelle et Aleph est le mâle. Et les deux engendrent ainsi l’ensemble des 22 lettres ».
La papesse représente le féminin sacré, le féminin couronné. D’ailleurs sur certains tarots, en plus de sa couronne, subsiste des origines une sorte d’auréole jaune qui symbolise sa connexion avec le haut, avec le sacré (Figure 9).
Selon Eliphas Lévi, “le binaire est représenté par une grande prêtresse ayant les cornes d’Isis, la tête voilée, un livre ouvert à demi caché sous son manteau”. La Papesse est assise, parfois représentée sous un voile, parfois avec cornes et disque lunaire sur la tête, parfois avec deux clés, l’une d’or et l’autre d’argent.
Dans le livre d’Eliphas LÉVI, un des mots associés au chapitre de l’arcane 2 est GNOSIS. Or la Papesse est la représentation de la gnose symbolisée par le livre de la connaissance ouvert ; elle ne le lit pas car elle SAIT déjà et elle possède la connaissance des choses cachées, de l’hermétisme ; le voile derrière elle, présent
dans toutes les représentations anciennes, est le symbole du secret, des sciences cachées dont elle est la gardienne. Cette connaissance voilée, le secret écrit sur le grand livre de la Papesse, cette Science occulte, l’Initié connaît son existence et tend à la découvrir, avec ses deux clés : logique et intuition, ou bien Sagesse et Intelligence.
L’Arcane 2 représente donc la gnose mais une gnose dualiste symbolisée par le 2, par les colonnes du temple (noire et blanche). Cette gnose provient du fond des âges et s’est perpétuée dans différents courants ou mouvements par transmission et sauvegarde car elle a toujours été pourchassée. Elle est portée bien sûr par les gnostiques (nom donné par leurs détracteurs) appelés aussi les SANS ROI. Le principe en est que le démiurge (le mauvais Dieu) a créé le monde matériel et mauvais et que le vrai dieu (le Dieu du Bien) se trouve dans chacune des âmes abritées à l’intérieur des corps de matière. C’est la connaissance de soi qui doit nous révéler ce divin, et le tarot raconte en image cette libération de l’âme dans un parcours initiatique.
Pour les kabbalistes, au contraire, le monde créé est bon. Le Zohar (exégèse ésotérique de la Torah) dit à propos de Beth : « La lettre Beth ( ב) entra ensuite en disant : Maître de l’Univers, qu’il te plaise de te servir de moi pour opérer la création du monde, attendu que je suis l’initiale du mot dont on se sert pour te bénir en haut et en bas. Le Saint, béni soit-il, lui répondit : C’est effectivement de toi que je me servirai pour opérer la création du monde, et tu seras ainsi la base de l’œuvre de la création ». Ainsi l’univers est béni par le Beth qui est à son commencement.
☿ Essai de synthèse
Pour qu’il y ait manifestation, il faut entrer dans les lois de la dualité. Du deux, toutes les autres valeurs découlent. Le passage du Un au Deux dans la tradition hébraïque est nommé Tsim-Tsoum, le retrait de Dieu. Pour que le monde advienne, il a fallu le sacrifice de l’Un.
En référence à la tradition chrétienne, la Papesse représente la Vierge Marie, notamment dans sa position de l’Annonciation (Figure 10).
Beth est l’archétype du féminin. Le petit point à l’intérieur du Beth de Béréchit contient en germe tout l’univers. La lettre-matrice est enceinte de la création, c’est
la virgo paritura, la Vierge qui doit enfanter.
Encore un parallèle heureux avec un vieux Tarot, celui du cartier Dodal, dont la carte Papesse s’appelle La PANCES (Figure 11), qui fait référence au ventre et donc au féminin porteur de la vie tout comme la virgo paritura, symbole de la déesse mère. La carte est aussi rattachée à la Lune, Waite a d’ailleurs fait figurer
le croissant au pied de la Papesse (Figure 1). C’est une représentation que l’on peut retrouver pour la Vierge Marie, un pied posé sur un croissant de Lune (Figure 12). Beth permet à la volonté créatrice de se manifester. La forme de la lettre semble montrer un mouvement qui emmène le haut vers le bas : le volatil se fixe, c’est l’incarnation. Un rôle d’intermédiaire, à l’instar de l’Aleph, comme nous avons vu avec l’Arcane 1.
La Papesse tient un livre, symbole de la connaissance. Pour le Bateleur qui se lance sur le sentier, ou un Apprenti en Franc-Maçonnerie, la Papesse, livre en main, est là pour transmettre sa connaissance. Elle est toute la Loge qui s’offre au nouvel arrivant dans la Franc-Maçonnerie, le savoir à portée de main.
Un équilibre se crée, entre Aleph-essence divine et Beth-substance divine : deux médiateurs qui amènent la divinité dans la création par l’union sacrée de leurs contributions active et passive. Shakti, Grande Mère divine et puissance de la fécondité, s’allie à Shiva, principe mâle, dans une fusion physique, mentale et spirituelle, qui donne accès à l’énergie suprême, à la conscience et à la sérénité (Figure 13).
Isis, la grande figure de la Nature et du Féminin Sacré, n’était pas voilée, mais la tradition a gardé de la déesse cette image liée à l’inscription sur le temple de Saïs, que Plutarque a rapportée : « Je suis tout ce qui est, qui a été et qui sera, et mon voile nul mortel ne l’a jamais soulevé« .
Le maçon poursuit sa quête de Vérité, cherchant à dévoiler les mystères de la Nature. Lorsque le voile est tombé, lorsque la Vérité est dévoilée, l’Initié deviendrait-il… immortel ?…