MORCEAU D’ARCHITECTURE de la RL SIRIUS -
Le silence ou la catharsis du silence
Le silence ou la catharsis du silence
« … je vous invite au silence et à la méditation », c’est la première phrase que nous entendons dans les parvis avant d’entrer dans le temple. Le philosophe allemand Max Picard disait dans « Le Monde du silence » : « Le silence remonte aux origines et, en même temps, son existence va de soi, comme pour les autres phénomènes premiers : l’amour, la mort, la vie. Il a existé bien avant eux tous, et, en eux, il y a du silence. Et dans ce silence, l’homme se trouve en face du premier commencement ; en d’autres termes, tout peut une fois encore commencer à nouveau, tout peut être refait neuf ».
Nous, en tant que Francs-maçons, nous voulons nous transformer, renaître à un nouveau commencement, refaire du neuf, comme disait Max Picard. En quoi le silence peut-il nous être favorable à ce renouveau, voire indispensable à cet Art de la transformation spirituelle, peut-on parler de « catharsis du silence » ? Et d’abord qu’est-ce que le silence ? Donnons une première définition succincte du silence relatif. C’est essentiellement une notion qui signifie que l’individu ne dit rien, il se tait et se maintient durant un certain temps dans un immobilisme physique et psychique. En fait nous nous trouvons face à deux sortes de silences : Le silence extérieur signifie que l’on se trouve en un lieu où aucun son n’est perceptible par notre ouïe. Et Le silence intérieur qui est l’acte de réduire à néants toutes pensées qui traversent notre esprit, aussi banales soient-elles.
Le silence extérieur ou le tourbillon de la vie. Nous vivons aujourd’hui dans une société très bruyante avec les sonneries des portables, le vacarme des voitures, le brouhaha de la foule…. Qui plus est, notre époque est celle de la communication, de la parole. Celui qui se tait inquiète son entourage : pourquoi ne dis-tu rien ? Tu n’es pas content ? Tu n’es pas d’accord ? Ça ne va pas ? Marquer une pause silencieuse, c’est rompre le rythme de l’échange. Cela dérange l’autre qui, bien souvent, ne peut pas se contenter juste d’une présence attentive, chaleureuse et bienveillante. La parole est aujourd’hui reine. Elle nous fait exister, c’est elle qui crée le lien entre les humains. Le silence est plutôt considéré comme un vide, un espace à remplir. Pour beaucoup, il devient même insupportable de se retrouver seul, avec les autres ou avec soi-même. Le bruit sert alors de paravent, de barrage, de carapace. Bien sûr autant il faut se méfier d’un bavardage incessant autant il faut se méfier du mauvais silence, par exemple un silence de bouderie indigne d’un adulte, un silence d’orgueil froissé, un silence d’indifférence, d’égoïsme ou de lâcheté alors que notre parole pourrait apporter lumière, paix et réconfort. Être silencieux ce n’est pas se retrancher dans un mutisme, c’est au contraire être présent et disponible pour entendre, comprendre et être à l’écoute des autres. Finalement, au sens littéral, le silence extérieur n’existe ni dans l’homme ni dans la nature. Tout milieu résonne de manifestations sonores particulières, même si elles sont espacées, étouffées, lointaines, à la limite de l’audible. Les étendues désertiques ou les hautes montagnes ne sont jamais tout à fait muettes, encore moins les forêts ou les campagnes. Les mouvements de l’homme dans l’espace laissent la trace sonore de ses pas, de ses gestes, de son souffle ; et même s’il reste immobile sa respiration, les battements de son cœur, le gargouillis de son estomac persistent…. L’existence palpite toujours et partout. Cependant, l’homme aspire au silence, le cerveau a besoin de ses phases de repos et de calme comme il a besoin de sommeil. La recherche du silence traduit une volonté d’apaisement, de recueillement, d’immersion dans un lieu propice, que ce soit la nature ou dans un lieu de calme, un cloître, un temple, pour nous notre temple maçonnique. Mais le silence peut aussi engendrer de l’inquiétude car il ouvre une métaphysique du lieu ou de la présence de l’autre. Il y a une sorte d’écoute du silence, un œil invisible qui renvoie à une intériorité exigeante. Certains trouvent en lui un refuge et un lieu favorable à un retour sur soi, d’autres s’en effraient et n’ont de cesse de s’en défendre. La question du silence soulève celle de l’ambivalence du sacré. Le Sacré nous arrache à l’ordinaire de l’existence et le Sacré Le mysterium tremendum du numineux (sentiment d’une présence divine, du mystère, les Archétypes chez Jung) est ce qui fait frissonner l’homme et lui fait ressentir la fragilité de sa condition humaine. Le sentiment que provoque ce numineux peut se répandre dans l’âme soit comme une onde paisible- c’est alors la quiétude d’un profond recueillement-soit comme une vague d’effroi devant cette condition, c’est la peur, l’impression de se perdre face à une présence spirituelle, oppressante et inintelligible. Nous voyons que la relation au silence appelle ainsi, selon les circonstances et les individus, la paix ou l’angoisse. Freud s’interrogeait déjà : « D’où provient l’inquiétante étrangeté qui émane du silence, de la solitude, de l’obscurité ?… Nous ne pouvons rien dire, si ce n’est l’angoisse infantile qui jamais ne disparaît tout entière chez la plupart des êtres, et c’est aussi la crainte de rencontrer cet inconnu que nous sommes. » Oui, le « Connais-toi toi-même » de Socrate gravé au fronton du temple de Delphes, affirme que seule l’introspection (je rajoute dans le silence) peut mener à la connaissance des choses supérieures. Se connaitre, savoir qui on est, c’est la condition sine qua non de notre recherche maçonnique qui nous permet de nous transformer en accédant à l’Essence de notre Être, à notre Moi profond. Cela nous amène au silence intérieur : Comment, dans le tumulte des pensées, des fantasmes, des images, des émotions qui nous habitent, plutôt qui nous assaillent et nous parasitent à longueur de journée, peut-on arriver à retrouver le silence en soi ? Les chemins, pour y parvenir sont nombreux. Ils rappellent les pratiques utilisées dans la relaxation ou la méditation. Pour trouver le silence en soi, il faut s’éveiller – comme Bouddha (qui en sanscrit veut dire l’éveillé) c’est-à-dire qu’il nous faut être en plein éveil de nos sens. Pour cela, il faut juste avoir une concentration absolue sur les stimuli envoyés par nos sens et sur rien d’autre. J’écoute, je regarde, je sens, je touche, je goûte à chaque fois sans aucune arrière-pensée, ou plutôt sans aucune pensée, rien que la sensation due aux sens en action. « Il semble, dit Gaston Bachelard, que pour bien entendre le silence, notre âme ait besoin de quelque chose qui se taise ». En effet, notre âme doit apprendre à maîtriser le questionnement de la pensée, ne plus penser. Ne plus être dans un jugement, dans une réflexion se référant au passé avec ses ressassements, ses critiques, ses regrets ou au futur avec ses inquiétudes, ses désirs, rêveries. Tous ces raisonnements mobilisent à chaque instant notre pensée et cela crée de la souffrance, ça ne vous étonne pas parce que rien ne se passe jamais totalement comme nous l’avons espéré, imaginé et comme nous le souhaitons. Nous voyons que c’est en fait le temps qui provoque de la souffrance. Gustave Flaubert écrivait (1821/1880) dans une lettre à Louise. « L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour cela que le présent nous échappe ».
Le présent ? Comment accéder au présent ? Par le silence ? Serait-il, ce silence, la porte d’entrée à notre vie spirituelle, à la conscience de notre Être ? Le silence ce n’est pas un vide, au contraire quand le silence se fait peu à peu en nous, alors commence à émerger notre Être intérieur, avec ses voix et sa vie propre, d’une richesse foisonnante ! Eckhart Tolle dit dans son ouvrage « Le pouvoir du moment présent » : je cite : « L’Être représente votre moi le plus profond, votre véritable nature. Mais ne cherchez pas à le saisir avec votre « mental » ni à le comprendre. Vous pouvez l’appréhender seulement lorsque votre « mental » s’est tu. Quand vous êtes présent, quand votre attention est totalement et intensément dans le présent, vous pouvez sentir l’Être. » Cela est, évidemment, un exercice très difficile de faire taire notre mental, nous n’y arrivons au début que quelques secondes mais en persévérant, on y arrive toujours un peu plus. Je vous invite à essayer de le faire le plus possible. Le philosophe français Descartes a cru avoir découvert la vérité la plus fondamentale quand il fit sa célèbre déclaration : cogito, ergo sum « Je pense, donc je suis. » Il venait en fait de formuler l’erreur la plus fondamentale, celle d’assimiler la pensée à l’Être et l’identité de la personne à la pensée. Bien sûr la pensée est une partie de nous mais nous sommes encore autre chose, bien plus que cela. Le penseur compulsif, c’est-à-dire presque tout un chacun, vit dans un état d’apparente division, dans un monde complexe où foisonnent perpétuellement problèmes et conflits, un monde qui reflète l’incessante fragmentation du mental. Comme disait Héraclite dans un de ses fragments : « La personnalité de l’homme c’est son démon » Démon en grec c’est « dis-monos » qui veut dire le UN séparé. Notre personnalité, ou notre ego est formé de mille facettes. Comment retrouver l’unité avec le TOUT, cet état de plénitude, et donc de paix. Ce TOUT c’est un état de fusion avec la vie sous sa forme manifeste qui est le monde, et sous sa forme non manifeste, qui est notre Moi, libéré de l’Ego (le terme « ego » désigne le faux moi qui s’identifie inconsciemment au mental). Il faut quitter la sphère égotique, avoir peu d’ego pour découvrir cette paix, cette unité qui est la liberté intérieure, il faut nous libérer des chaînes qui nous asservissent et nous entravent. C’est apprendre à laisser nos métaux à la porte du temple. Je viens de parler des pensées qu’en est-il des émotions ? Étymologiquement, « émotion » veut dire « dérangement ». Le terme vient du verbe latin emovere, qui signifie « déranger ». Une émotion est le reflet de notre mental dans le corps. Par exemple, une pensée agressive ou hostile crée dans le corps une accumulation d’énergie que nous appelons colère. Ou cela peut être la peur ou toute autre émotion. Nous sommes victimes de nos propres émotions, nous sommes dérangées, il faut se reconnecter à soi-même en prenant l’habitude de se poser la question suivante : Qu’est-ce qui se passe en moi en ce moment ? Mais n’analysez pas. Contentez-vous d’observer. Lorsqu’une pensée s’efface, ou qu’une émotion s’estompe il se produit une discontinuité dans le flux mental, un intervalle de « non-mental » soudain, une immobilité intérieure s’installe. Et au cœur de cette immobilité, il y a une joie subtile, intense, il y a l’amour, il y a la paix. C’est notre état naturel de fusion consciente avec l’Être, nous atteignons la conscience pure, cette étincelle divine que nous avons tous au plus profond de notre Être. Artistes, poètes, philosophes, mystiques savent depuis toujours que dans l’attention au silence de la pensée se développe toute créativité. En effet, c’est de ce silence que s’élève l’esprit immortel à partir d’un état de vide mental, d’une immobilité intérieure. Ensuite bien sûr, c’est le mental qui donne forme à l’impulsion, à l’intuition créative. Même les plus grands savants, comme les mathématiciens Poincaré ou Einstein, ont rapporté que leurs percées créatives s’étaient produites dans des moments de totale quiétude mentale. Mais pour fonctionner quotidiennement en ce monde, nous avons évidemment besoin du mental pour développer la volonté qui nous permettra d’agir dans cet espace temporel, dans lequel nous vivons. Mais comment cesser de créer du temps – passé et avenir- qui provoque de la souffrance, dont je viens de parler plus tôt ? En prenant profondément conscience que le moment présent est toujours uniquement ce que nous avons. Faisons de l’instant présent le point de mire principal de notre vie et accordons de brèves visites au passé et au futur lorsque nous devons affronter les aspects pratiques de notre vie. Disons « Oui » à la Vie en acceptant ce qui est maintenant. Laissez-moi citer la « Présence spirituelle » dans la philosophie de Louis Lavelle : « Notre activité acquiert la puissance et la joie dès qu’elle s’attache au présent et ne se laisse plus retenir par aucun regret ni aucune arrière-pensée, par aucun intérêt ni par aucun souci de réussite, c’est dans la grâce du Présent que l’on doit sentir sa Lumière et son Élan ! » Le silence imposé à l’Apprenti doit être pour nous Maçons une quête de ressourcement, un abandon à l’UN, l’unité qui rassemble ce qui est épars et qui nous permet de porter la Lumière au monde. Et notre parole de maçon ne peut être authentique que si elle jaillit d’un silence intérieur retrouvé en prenant possession de notre mental qu’il nous faut dominer. Car la seule domination que nous devons développer, c’est la domination sur nous-même et en aucun cas la domination sur les autres. Et c’est l’introspection dans le silence qui pourra être cette Catharsis comme le formulait Kierkegaard : (Dans la tragédie grecque, la catharsis était un moyen de libérer les spectateurs de leurs passions en les exprimant symboliquement sur scène). L’expression de « catharsis du silence » signifie purification et dépassement de la parole grâce au silence. Et aujourd’hui, plus que jamais, dans la situation mouvementée et dévastatrice qui secoue la société et le monde, nous sommes dans l’obligation de trouver une solution de paix. Je ne dis pas qu’il faille se taire et ne pas se défendre lorsqu’on s’attaque à notre personne ou pour contrer toutes ces injustices qui pervertissent nos sociétés. Toutefois, pour trouver une solution de paix, recentrons-nous d’abord, mettons-nous à l’ordre dans le silence et la méditation. Et réfléchissons bien avant de prendre la parole ! Car c’est bien ça, notre travail maçonnique, grâce à nos outils, ce travail c’est l’art d’ajuster, c’est-à-dire d’harmoniser les idées, les émotions, les désirs en parole et en silence ; ce n’est pas de suivre un manuel déjà écrit mais d’« expérimenter » personnellement ce que nos Aînées nous ont transmis, tout ce que nous avons appris avec des erreurs et des errances afin de trouver l’équilibre entre le silence et la parole. J’aimerais pour terminer paraphraser la célèbre citation de Marc Aurèle : « Donnez-moi le courage de parler quand c’est nécessaire, La force de garder le silence quand c’est utile Et la sagesse d’accepter la parole et le silence des autres. »
J’ai dit
Bibliographie : Anthropologie du silence – David Le Breton, Le pouvoir du moment présent – Ekhart Tollé, L’art du silence – Anselm Grün, Le monde du silence – Max Picard