Jacob Böhme, le cordonnier de Görlitz (1575 – 1624) -
Ou l’obscure lumière de la connaissance mystique
En Franc-maçonnerie, nous nous attachons aux symboles, à l’histoire mais nous avons aussi pour habitude d’élargir le champ de nos connaissances, de sonder les profondeurs sociologiques, philosophiques et religieuses par-delà le temps et l’espace, pour en tirer des enseignements, en les ajustant si nécessaire, à notre époque. Après bien des hésitations, car le sujet est aride et le vocabulaire désuet, j’ai choisi de partir avec vous à la découverte d’un grand théosophe allemand, Jacob Böhme, auteur de L’Aurore Naissante, ainsi que de plusieurs autres ouvrages. Considéré à la fois comme « le premier philosophe allemand » chrétien, idéaliste et panthéiste, Böhme demeure aujourd’hui encore un penseur énigmatique.
Selon Louis Claude de Saint-Martin, la doctrine de Jacob Böhme « pénètre dans des régions où nos langues manquent si souvent de mots pour s’exprimer. » Il entreprit de traduire et de faire connaître le théosophe en France. Voici ce qu’il en dit : « Je croirai rendre un service au lecteur en l’engageant à faire connaissance avec cet Auteur ; mais en l’invitant surtout à s’armer de patience et de courage pour n’être pas rebuté par la forme peu régulière de ses ouvrages, par l’extrême abstraction des matières qu’il traite, et par la difficulté qu’il avoue lui-même avoir eue à rendre ses idées, puisque la plupart des matières en question n’ont point de noms analogues dans nos langues connues. […] Lecteur, si tu te détermines à puiser courageusement dans les ouvrages de cet auteur, qui n’est jugé par les savants dans l’ordre humain, que comme un épileptique, tu n’auras sûrement pas besoin des miens. »
Au commencement
Jacob Böhme est né en 1575, dans une petite ville de l’est de l’Allemagne, aux environs de Görlitz dans une famille luthérienne. Sa vie commença de la manière la plus banale. Issu du monde paysan, durant ses premières années il garda les troupeaux. Puis, ses parents l’envoyèrent à l’école, où il apprit à lire et à écrire. C’était presque un luxe pour l’époque. L’enfant présentait déjà certaines dispositions pour le surnaturel. Les historiens rapportent que, tout jeune, à l’entrée d’une caverne creusée sous le mont Landeskrone, il aurait découvert, un monceau d’argent. Mais il n’y toucha pas, mettant déjà une barrière instinctive avec les illusions de la matière.
Ce n’était pas un bel homme. Sa constitution chétive était incompatible avec le travail de la terre. Aussi, ses parents le placèrent en apprentissage chez un maître cordonnier pendant trois ans. Puis, selon l’ordre des choses séculières, pendant cinq ans, il devint compagnon itinérant. Très pieux, il était assidu au culte protestant. Au cours de son compagnonnage, il vécut une première expérience d’illumination et de ravissement qui le transforma. Loin de s’en vanter, il la passa longtemps sous silence.
Devenu adulte, Jacob Böhme épousa la fille d’un boucher, Katharina Kuntzschmann, dont il eût quatre garçons. Très impliqué dans sa corporation, respectueux des règles, il excellait dans son métier. En 1599, il loua une boutique en dehors des remparts de Görlitz. Sous cette vie en apparence ordinaire couvait un homme extraordinaire.
Il faut remonter le temps de quelques années pour connaître l’événement à l’origine de sa métamorphose :
Alors qu’il était en formation chez un maître cordonnier, celui-ci s’absenta et le laissa seul. Un étranger pénétra dans la boutique. Il examina une paire de souliers et demanda à l’acheter. Panique, le jeune homme, se croyant inapte à évaluer le prix des chaussures, refusa de les vendre. L’étranger insista. Afin d’éviter tout reproche de la part de son maître et surtout pour décourager l’acheteur, Jacob lui proposa un prix excessif. Sans sourciller, l’homme paya et prit les chaussures.
Au moment de franchir le seuil de l’échoppe, il s’arrêta et d’une voix ferme, cria : Jacob, Jacob, viens ici. Inquiet, le jeune homme s’approcha. Le fixant avec regard pénétrant, l’étranger, lui saisit sa main droite et lui dit : Jacob, tu es peu de chose mais tu seras grand, et tu deviendras un autre homme, tellement, que tu seras pour le monde un objet d’étonnement.
Sois pieux, crains Dieu et révère sa parole ; surtout lis soigneusement les écritures saintes, dans lesquelles tu trouveras des consolations et des instructions, car tu auras beaucoup à souffrir ; tu auras à supporter la pauvreté, la misère et des persécutions ; mais sois courageux et persévérant, car Dieu t’aime et t’est propice.
L’homme s’en alla laissant Jacob abasourdi. À dater de cette époque, ses visions se multiplièrent au point de l’obséder. Enrichi, son champ de conscience agrandissait son espace intérieur, dévoilant d’autres aspects du réel.
Au XVIe siècle, la question religieuse dominait. Le moine et théologien Martin Luther enflamma l’Allemagne en publiant à Wittenberg les 95 thèses, où il critiquait ouvertement le Pape et la vente des indulgences. Bien qu’il ait été excommunié par Léon X, en 1521 et mis au ban de l’Empire par Charles Quint, ses idées progressèrent en Allemagne. Des humanistes et des artistes comme Dürer, Cranach, Holbein s’enflammèrent pour ses idées. Les princes électeurs de nombreuses villes se convertirent au luthéranisme et confisquèrent à leur profit les biens de l’église catholique au cours de luttes mémorables.
Dans ce chambardement social et militaire, la science peinait à trouver sa place. L’observation était son moteur, un moteur qui par prudence tournait au ralenti car la religion était toute puissante le siècle des Lumières n’était pas encore là mais les progrès entamaient un difficile chemin. En France, Rabelais dans son premier livre le Pantagruel, utilisa le géant Gargantua comme messager. Ce dernier encouragea son fils Pantagruel à pratiquer la dissection pour mieux saisir le corps humain. C’était dans l’air du temps. Ambroise Paré, découvrit le fonctionnement de la circulation sanguine et inaugura la chirurgie moderne, à petits pas. De son côté, le Flamand André Vésale étudia le cerveau, la musculature et les nerfs.
Le célèbre et audacieux Galilée, mathématicien, physicien et astronome de génie, eut l’audace en 1632, de publier son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Il bouscula la physique géocentrique d’Aristote, qui faisait loi. Il se posa en défenseur de l’approche copernicienne de l’univers en adoptant la théorie de l’héliocentrisme et des mouvements satellitaires. À l’évidence, la terre tournait autour du soleil ! Mal lui en prit. Il perdit un des plus retentissants procès contre l’hérésie et évita de peu le bûcher. L’Inquisition l’assigna à résidence durant les huit dernières années de sa vie ; qui s’acheva en 1642. Nicolas Copernic plus prudent avait fait diffuser son ouvrage « Des révolutions des sphères célestes » après sa mort, survenue en 1543. Il ne risquait plus d’être inquiété.
L’époque fut hostile aux savants et aux découvertes scientifiques, qui bousculaient les textes bibliques, du moins tels qu’ils avaient été compris et enseignés. Les religions et leurs dogmes s’accrochaient avec férocité à leurs certitudes. Dieu, l’âme immortelle, les grâces divines dispensées à l’humain dégénéré depuis sa chute dans la matière… Tout était immuable. Pas d’interprétation possible. D’ailleurs, le peuple dont la vie était très rude, avait besoin de ces fondements pour trouver un sens à son existence misérable. D’ailleurs, les insurrections paysannes et les répressions militaires secouaient périodiquement l’Allemagne. La bourgeoisie d’affaires se développait, tandis que les princes affirmaient leur puissance territoriale.
À Görlitz, Jacob Böhme semblait épargné par les convulsions politiques de son pays, du moins rien ne nous laisse supposer qu’il souffrait de quelque manière de ces circonstances. En 1600, se produisit sa deuxième illumination. À la suite de la vision intérieure d’un pot d’étain, il découvrit qu’il était désormais capable de pénétrer les secrets de la nature grâce aux « signatures » imprimées dans les choses. Il aurait alors vu et connu « l’Être de tous les êtres, le fond et le sans-fond, également la naissance de la Sainte Trinité, l’origine et l’état originel de ce monde et de toutes les créatures par la Sagesse divine ».
Dix ans plus tard, une troisième illumination, bouleversa sa vie et leva ses derniers doutes. Un impératif s’imposa à lui, il devait publier les révélations de l’Au-delà, de peur d’être condamné lors du jugement dernier, pour avoir enfoui son talent.
Il se mit au travail et entre janvier et mai 1612, il rédigea L’Aurore naissante et confia son manuscrit à un ami, Karl Ender von Sercha qui, enthousiaste, le diffusa.
Mais… en 1613, le texte tomba entre les mains du pasteur en chef de Görlitz, Gregor Richter, farouche gardien de l’orthodoxie luthérienne. Dans toutes les histoires il y a toujours des méchants ! Outré, Richter, alerta les autorités et celles-ci convoquèrent Jacob à l’Hôtel de ville. Ils saisirent son manuscrit et jetèrent notre visionnaire en prison. Finalement, il fut libéré à la condition expresse de ne plus écrire une seule ligne. Le dimanche suivant, Richter monta solennellement en chaire et fit un sermon pour le condamner devant la communauté. À la suite de quoi, Jacob Böhme dut se soumettre à un interrogatoire inquisitorial au presbytère, qui le réduisit au silence.
Libéré, Jacob respecta son engagement et s’investi davantage encore dans son métier. Pour compléter son activité de cordonnier, il développa en parallèle un commerce de fil. Mais, il avait beau faire, ses visions le hantaient toujours. Fidèle à sa promesse, il se contentait de conversations confidentielles avec quelques amis admiratifs. Puis, ils se lia avec des érudits de l’occultisme comme Tobias Kober, Balthasar Walther ou Christian Bernhard. Ces derniers, subjugués par la profondeur de sa pensée, se déclarèrent prêts à le soutenir publiquement si besoin était. De son côté, Jacob affina sa culture et s’immergea dans la lecture des grands auteurs de l’ésotérisme de la Renaissance, dont Paracelse, ce qui lui permit de développer et structurer ses propres intuitions.
Le pasteur Richter, son ennemi intime, mena à son encontre une véritable campagne de diffamation avec une rage peu commune. Il le fit jusqu’à la fin de sa vie, qui curieusement s’acheva la même année que celle de Jacob Böhme, comme si l’un ne pouvait exister sans l’autre.
Au bout de sept ans de silence, Jacob Böhme lâcha la bride et se remit à l’écriture. Je vous livre quelques éléments de sa doctrine :
« Le ciel est partout ». Son œuvre est « un mélange de théologie, d’alchimie, de spéculations sur l’insaisissable et l’incompréhensible, de poésie fantastique et d’effusions mystiques : c’est un chaos étincelant. »
Caché dans un clair-obscur complexe et parfois contradictoire, son message prône la régénération de l’homme, déchiré entre le bien et le mal. Il nous dévoile une cartographie de l’âme, perdue dans les chemins du ciel ou encore égarée dans les ténèbres.
Böhme considère que Lumière et Ténèbres sont deux mondes inconciliables. Pourtant, il affirmait : « La force dans la lumière est le feu d’amour de Dieu et la force dans les ténèbres est le feu de l’ire divine et pourtant il ne s’agit que d’un seul feu. Mais il se scinde en deux principes, afin que l’un se manifeste en l’autre. Car la flamme de la colère est la révélation du grand amour ; c’est dans les ténèbres qu’on connaît la lumière, sinon elle ne se manifesterait pas. »
Dans un bouillonnement créatif, l’essence divine « imagine » le mal, sans l’incarner. Le mal est un monde que seule la volonté peut choisir d’habiter. Selon le philosophe, l’humain a la liberté de déformer et noircir son âme, ou bien de la transformer en un ange de lumière :
« La volonté peut donner à l’esprit même une autre forme, ainsi qu’il suit : quand même l’esprit serait un ange, une image de Dieu, la volonté peut néanmoins faire de lui un démon insensé, de même que d’un démon faire un ange, pourvu qu’il se précipite dans la mort, dans l’humilité sous la croix, et qu’il se plonge de nouveau dans l’esprit de Dieu, en sorte qu’il se soumette à son gouvernement. »
Selon lui, l’homme « est céleste et terrestre. Il est spirituel d’une part et corporel de l’autre. C’est un ange et c’est un animal ; c’est un néant et c’est un miracle. »
« La vie humaine est l’angle entre la lumière et la ténèbre ; celui auquel elle se donne, est celui dans lequel elle brûle. » Concrètement, si l’âme demeure dans l’illusion du monde extérieur, elle est dans « l’enfer ». Ou bien, elle entre en elle-même et trouve le paradis. Mais comment trouver le Paradis sans s’égarer dans le labyrinthe obscur du mal ?
L’œuvre de Böhme est un jeu de reflets et de miroirs, car « tous les êtres sont magiques » et « l’un est le miroir de l’autre ». Enfer et Paradis sont immanents à l’univers intérieur ainsi qu’au monde extérieur et Dieu est présent en tout.
La notion d’espace est très importante. En 1612, dans L’Aurore naissante, son premier traité « conçu dans un esprit presque magique », Böhme affirmait que personne ne pouvait savoir combien était « étendu et profond le lieu de ce monde », et d’ajouter que « le vrai ciel est par-tout, dans ce temps actuel » ainsi que « la maison de la colère de l’enfer ».
En 1619, dans le traité De Tribus Principiis, il précisait que « le vrai ciel où Dieu demeure est partout en tout lieu, ainsi qu’au milieu de la terre. Il comprend l’enfer où le démon demeure, et il n’y a rien hors de Dieu ».
Une année plus tard, en 1620, il écrivait encore que « chaque âme est dans sa propre contrée, et n’est point liée à la place qu’occupe le corps ; mais elle peut aller où elle veut… elle est ou dans Dieu, ou dans les ténèbres ».
Somme toute, il ne faut pas aller très loin pour trouver le Paradis :
« Si vous voulez considérer ce qu’est le ciel, où il est, ou bien comment il est ; vous n’avez pas besoin d’élancer votre pensée à plusieurs milliers de milles d’ici. Car cet espace ou ce ciel n’est pas votre ciel […] Car le vrai ciel est par-tout, même dans le lieu où vous êtes et où vous marchez. Lorsque votre esprit atteint la génération la plus intérieure de Dieu, et qu’il pénètre au travers de la génération sidérique et charnelle, dès-lors il est dans le ciel. »
Pourtant la plupart d’entre nous ne trouvent pas ce chemin vers le ciel, car pour habiter les régions de la Divinité il faut se transformer.
La question est de savoir comment réaliser cette régénération ? Et, surtout, pourquoi est-elle indispensable aux yeux de ce luthérien, alors que selon Martin Luther, le Christ par son sacrifice avait obtenu le pardon des péchés ?
Böhme ne veut pas nier mais ses visions lui disaient que : l’homme ne peut pas se passer de la Grâce qui, pour être efficace, doit être active. Si l’œuvre du salut n’est plus à attendre, pour renaître en Jésus-Christ il faut que l’homme s’ouvre à l’Autre et se libère de la pesanteur du « moi », afin de laisser à l’Esprit la possibilité de le régénérer. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec le bouddhisme, dont la terminologie est différente mais le sens très proche. L’homme doit se libérer de l’égo.
Le cordonnier mystique souhaitait allumer « la faim de l’âme avide de naître de nouveau. » Le processus de régénération est une opération constructive et transformante.
Dieu est intemporel, personnel et vivant, il est de partout. L’espace est en Dieu et Dieu dans chaque point de l’espace. Voilà un petit clin d’œil à Hermès Trismégiste : Tout est en Un et Un est en Tout. La Gnose n’est jamais bien loin.
Malgré les foudres luthériennes, la notoriété du philosophe se diffusa dans toutes les contrées de l’Allemagne. Il eût même des partisans en Angleterre. Le roi Charles Ier, encouragea la publication de ses ouvrages en anglais, particulièrement le Mysterium magnum, le Grand Mystère. On rapporte que lorsqu’il lut en 1646 Les Quarante Questions sur l’Âme, il témoigna son admiration et s’écria : que Dieu soit loué ! puisqu’il se trouve encore des hommes qui ont pu donner de sa parole un témoignage vivant tiré de leurs expériences.
Cet ouvrage décida le monarque à envoyer Jean Sparrow, avocat à Londres, à Görlitz, pour étudier la langue allemande ; afin de lire Böhme en version originale et de traduire ses œuvres en anglais. Il devint le traducteur et l’éditeur de la totalité de ses ouvrages.
Prince des philosophes du divin, Jacob Böhme fut souvent obscur. Car, pour lever le voile, pour lire et comprendre ses livres, il faut être « régénéré ». Sa doctrine pénètre dans des régions où nous manquons de mots pour nous exprimer. Elle ne pouvait être accueillie que dans un cercle restreint de partisans qui, à l’époque, ne pesait pas lourd face à ses adversaires.
L’Aurore Naissante son premier ouvrage, ouvre sur des principes aussi vastes que l’infini. Je vous livre un bref aperçu du buisson fleurissant de ses visions :
« Lorsque l’arbre devient vieux, que ses branches se dessèchent, et que le suc ne peut plus s’élever en haut, alors plusieurs rejetons verts croissent autour du tronc, et même enfin sur la racine, et montrent comment a vieilli cet arbre qui avait été autrefois un jeune arbrisseau couvert de superbes rameaux. Car la nature, ou le suc, se conserve jusqu’à ce que le tronc soit devenu entièrement sec ; alors on le coupe et on le met au feu.
Le jardin où est cet arbre signifie le monde ; le terrain, la nature ; le tronc de l’arbre, les étoiles ; les branches, les éléments ; les fruits qui croissent de cet arbre, les hommes ; le suc dans l’arbre, la pure divinité ; or, les hommes sont formés de la nature, des étoiles et des éléments. Mais Dieu le créateur domine dans toutes ces choses, comme le suc dans la totalité de l’arbre.
La nature a en soi deux qualités ! la qualité bonne opère et travaille continuellement avec une grande activité, à porter de bons fruits, dans lesquels l’esprit saint domine, et elle donne pour cela son suc et sa vie ; la qualité mauvaise pousse et s’évertue aussi de tout son pouvoir à porter toujours de mauvais fruits et le démon lui fournit pour cela son suc et sa flamme infernale…
Dans la nature la qualité mauvaise a combattu dès le commencement et combat encore avec la qualité bonne…
Néanmoins, lorsque l’arbre de la nature eut atteint le milieu de son âge, il s’éleva et produisit quelques fruits doux et agréables… c’est alors que d’une branche douce de l’arbre furent engendrés les saints prophètes, qui, dans leurs instructions, annoncèrent la venue de la lumière, laquelle, par la suite, devait surmonter la colère de la nature.
Il s’éleva aussi parmi les païens une lumière dans la nature, par laquelle ils reconnurent la nature et ses œuvres, quoique ce ne fût cependant qu’une lumière dans la nature sauvage, et non point encore la lumière sainte…
Mais lorsque le prince des ténèbres vit que les païens se disputaient au sujet des branches et oubliaient l’arbre, et qu’il aperçut l’énorme préjudice et tout le tort qu’ils se faisaient, il suspendit ses tempêtes vers l’Orient et le Midi, et établit au pied de l’arbre un commerçant qui ramassait les branches tombées de ce précieux arbre. Et quand les païens se présentaient et demandaient de ces branches virtuelles et succulentes, alors ce commerçant offrait de les vendre pour de l’argent, faisant ainsi de ce précieux arbre une spéculation d’usurier.
La cause pour laquelle l’arbre sauvage devint si grand, est que les peuples qui étaient sous le bon arbre coururent tous après les facteurs qui vendaient des marchandises falsifiées ; ils mangèrent de ce fruit corrompu qui était à-la-fois bon et mauvais, ils croyaient se guérir par-là, et ils abandonnèrent tout à fait l’excellent arbre qui était rempli d’une vertu céleste.
Or, le marchand qui se tenait sous le bon arbre… trompa les simples par ses séductions…
Alors il fit cette proclamation : je suis le tronc du bon arbre ; je repose sur sa racine ; je suis greffé sur l’arbre de vie. Achetez de la marchandise que j’ai à vous vendre. Elle vous affranchira de votre origine sauvage, et vous vivrez éternellement…
Mais au soir, la miséricorde divine fut touchée des souffrances et de l’aveuglement des hommes ; elle réactionna une seconde fois l’arbre bon, puissant et divin, pour qu’il produisît du fruit de la vie…
Aussitôt les hommes accoururent pour voir et entendre ce qui se passait…
Ils furent très-satisfaits et ils mangèrent de l’arbre de la vie avec bien de la joie et un grand soulagement ; cet arbre de vie leur fit prendre de nouvelles forces, et ils chantèrent un nouveau cantique en l’honneur du véritable arbre de vie ; ils furent affranchis de leur origine sauvage, et prirent de la haine pour le marchand, pour ses facteurs, et sa marchandise falsifiée….
« Si le critique vient à lire L’Aurore naissante, il dira que je monte trop haut dans la divinité, et que cela ne me convient pas. Que je me vante d’avoir l’esprit saint ; qu’il me faudrait opérer en conséquence et confirmer ce que j’avance par des prodiges. Que j’agis ainsi par un désir d’acquérir de la réputation. Que je ne suis point assez instruit pour cela. »
Et Böhme de dire encore : je suis un homme simple, qui doit chaque jour adresser à Dieu cette prière : Seigneur, pardonnez-nous nos offenses… La volonté qui m’y a poussé n’a point été une volonté naturelle. Cela s’est fait par une impulsion de l’esprit.
Une goutte d’eau, dans la vaste mer, ne peut pas opérer un grand mouvement ; mais il en est autrement si un grand fleuve s’y précipite. Toutefois le passé, le présent et l’avenir, aussi bien que ce qui est étendu, profond, haut, proche, éloigné, tout cela dans la divinité n’est qu’une seule et même chose et l’âme de l’homme jouit aussi du même avantage ; mais seulement par portions, tant qu’elle est dans ce monde.
J’ai essayé de vous donner un aperçu des écrits de ce philosophe mystique du XVIe siècle, dont les visions font encore écho dans l’occultisme contemporain. La Franc-maçonnerie de Memphis-Misraïm et le Martinisme, n’ont pas manqué d’être influencés par l’idée de la régénération de l’homme, développée par Jacob Böhme, reprise au XVIIIe siècle, par Martines de Pasqually et particulièrement par Louis Claude de Saint Martin, qui traduisit et divulgua l’œuvre du théosophe en France. D’ailleurs, au détour de nos rituels, nous pouvons en trouver quelques éclats éparpillés.
Pour conclure ce Morceau d’architecture, je vais citer Angelus Silesius : « Il est vrai certes, que j’ai lu maints écrits de Jacob Böhme, car en Hollande on trouve toutes sortes de choses ; et j’en remercie Dieu. Car c’est grâce à ces écrits que j’ai découvert la vérité. » et d’ajouter :
« Le ciel est en toi. Arrête, où cours-tu donc, le ciel est en toi :et chercher Dieu ailleurs, c’est le manquer toujours. »
J’ai dit VM