LE RITE DE MEMPHIS-MISRAÏM EST-IL EGYPTIEN COMME AFFIRME ? -
LE RITE DE MEMPHIS-MISRAÏM EST-IL éGYPTIEN COMME AFFIRMé ?
« Ô Égypte, Égypte ! il ne restera de tes cultes que de vagues récits que la postérité ne croira plus, des mots gravés sur la pierre et racontant la piété. Le Scythe ou l’Indien, ou quelque autre voisin barbare habitera l’Égypte. Le divin remontera au ciel, l’humanité abandonnée mourra tout entière, et l’Égypte sera déserte et veuve d’hommes et de Dieux. » Hermès Trismégiste à Asclépios – Livre II des Livres hermétiques – Discours d’Initiation ou Asclépios ; extrait que l’on retrouve en partie à l’allumage de la Colonnette Sagesse au 1er Degré.
Prologue
Nous sommes considérés comme pratiquant un rite égyptien, par les principales Obédiences françaises en tant que membre d’une Loge ayant adopté le RAPMM.
Dès lors, la première question à se poser : qu’est-ce que le rite égyptien ?
Tout d’abord, un Rite égyptien, aussi surprenant que cela puisse paraître, a probablement vu son émergence en Italie, plus précisément à Naples et Venise, villes italiennes où jaillirent des hermétistes de 1er ordre tels que Théodore Henri Tschudy (1720-1769), Raimondo di Sangro di San Severo (1710-1771), Guiseppe Balsamo dit Cagliostro (1743-1795), Luigi d’Aquino (1739-1783), etc. Ces acteurs ont tous participé, avec plus ou moins d’importance, au développement d’un Rite qualifié d’égyptien et inspiré principalement par Cagliostro.
Mais la qualité la plus importante pour une fin du 18ème siècle, est que ce Rite intégrait la femme et la mixité ! Et, ô surprise, un Rite égyptien, à cette époque, ne s’adressait qu’à des Maçons pratiquant déjà les Hauts-Grades écossais. Et pour les futures Sœurs, elles étaient mises à niveau par un Rituel qui leur était réservé !!!
Revenons à ce qualificatif attribué aux Rites de Misraïm, Memphis et Memphis-Misraïm : comme le signalent plusieurs auteurs experts en ces Rites dits égyptiens, « la poésie égyptianisante » de ces Rites n’a strictement rien à voir avec l’Égypte pharaonique ; ces auteurs se réfèrent exclusivement à l’Égypte copte celle des premiers chrétiens où l’on y adoptait la pensée hermétiste de la Renaissance((Entre les XIVème et XVIème siècle) émise par Michael Maïer, Dom Pernety ou Marsile Ficin (Première traduction du Corpus Hermeticum vers 1471) pour transmettre des pratiques alchimiques et théurgiques.
Vous nous voyez demander aux Apprentis ou Compagnons, comme travail d’augmentation de salaire ou d’élévation, une preuve physique de leurs pratiques alchimiques et théurgiques ⁇?
Donc, rien à voir avec l’égyptomanie fortement développée en Europe ; et comme le dit judicieusement le F∴ Denis Labouré : « un cache-télévision orné de moulures Louis XVI n’est pas un cache-télévision Louis XVI ! ».
Analyse de l’évolution des Rites dits égyptiens, prédécesseurs du RAPMM
À la fin du 18ème siècle, les FF∴ Von Köppen et Von Hymmen ont adapté le roman initiatique Sethos, de l’abbé Terrasson, pour créer une Rituélie nommée Crata Repoa. Ce Premier modèle sera suivi de l’Ordre maçonnique des Philalètes qui est à l’origine du rite Primitif de Narbonne dit les Philadelphes, ce dernier rite désigné comme l’une des bases de réflexion des créateurs des rites de Misraïm et Memphis. Puis, retour de la campagne d’Égypte des FF∴ Bédarride qui ouvrent Misraïm aux environ de 1815, suivi de Marconis pour Memphis créé autour de 1838. Mais n’oublions pas que selon les écrits, Misraïm comme Memphis ont une base rituélique écossaise (… la place des Sur∴ et du VM∴ … cf. Le Sanctuaire de Memphis par E∴-J∴ MARCONIS DE NèGRE 1850). (Comment reconnait-on un Rite écossais ?)
Mais, jusqu’au deux tiers du 19ème siècle, les Rites de Misraïm et Memphis ont été persécutés avec violence. Enfin, sur l’ordre de Napoléon III, le Maréchal Magnan tente de réunir, au sein du Grand Orient de France, toutes les organisations maçonniques du pays ; mais Marconis de Nègre sollicite et obtient en 1862 de Magnan l’intégration de son Rite au sein du GODF, à condition qu’il ramène son échelle à 33 degrés, ce qu’il fait de bonne grâce.
Puis on dit que Garibaldi aurait réuni les deux Rites en un seul en 1881 : c’est un mythe, car quand Garibaldi eut pu réaliser cette union, après la réunification des deux Italies, la guerre de 1870 où Garibaldi aida la France à se débarrasser des états germaniques, puis répondre aux demandes politiques italiennes et se battre contre les antirépublicains et le clergé, sa maladie le rattrapa et le condamna sans jamais pouvoir accomplir cette mission ; mais elle lui fut attribuée …
Pour la France, la réunion des deux rites, se crée réellement en 1908 par, entre autres, Papus, Théodore Reuss (GM\ allemand), Charles Détré (Substitut de Papus) et René Guénon, après avoir reçu de John Yarker une patente générale pour les Degrés non-symboliques de Memphis-Misraïm, c’est-à-dire du 4ème au 97ème degrés. Papus n’a jamais reçu de Patente pour initier des profanes !
Symbolisme et contenu des Rites dits égyptiens de Misraïm et Memphis
Selon mes recherches, les premiers écrits, entre le 15ème et le 17ème siècle, voient apparaître un mixage de positions philosophiques et de rites parlant d’Égypte mais, très important vu le contexte du moment, filtrés par le judéo-christianisme ; on découvre une vulgarisation de manuscrits secrets de l’Initiation égyptienne où se mêlent hermétisme, mysticisme et magie. La question relative au contenu des écrits secrets de l’initiation égyptienne reste entière : étaient-ils rédigés en hiéroglyphes, en écriture cunéiforme (Sumer, Akkadien) ou, selon certains chercheurs, en écriture copte, ce qui placerait ces Initiations dites égyptiennes au sein de l’église du même nom et permettrait de comprendre pourquoi St Marc eut pu être mentionné comme initiateur de Misraïm et Memphis.
Pour Misraïm, ce Rite relève d’une influence de kabbale judéo-chrétienne s’inspirant assez vaguement de l’Ordre des Élus-Cohen de Martines de Pasqually et des kabbalistes chrétiens de la renaissance.
Quant à Memphis de Jacques-Etienne Marconis, n’oublions pas que c’est probablement, en tout cas pour les 3 premiers Degrés, une copie rituélique conforme au Rite de Misraïm. On y trouve, entre autres, des références comme « … sous les auspices du Grand Empire de l’Ordre Maçonnique de Memphis pour les deux hémisphères. »
La réunion de MEMPHIS et MISRAÏM
Comme précisé plus haut, ce serait sous les auspices de Garibaldi qu’en 1881 ces deux Rites se réunirent sous le titre Rite Antique et Primitif Oriental de Memphis et Misraïm ou d’Égypte.
Cependant, pourrait-on croire, après moultes recherches des spécialistes de ces Rites, que cette fusion annoncée assemblerait bien les contenus ésotériques et rituéliques de Misraïm et Memphis, agrémentée de références égyptiennes ? Malheureusement, j’en doute ! Mais pour nous faire une idée générale de la situation, écoutons notre F∴ Serge Caillet : « L’occultisme, en effet, caractérise Memphis-Misraïm qui est incontestablement l’un des principaux rites de ce que d’aucuns appellent précisément la maçonnerie occultiste, ou la maçonnerie illuministe, voire mystique. … Il me semble qu’à l’origine, soit vers 1810 pour Misraïm et 1839 pour Memphis, la boîte était quasiment vide ! Jacques-Etienne Marconis, fondateur du rite de Memphis, considérait par exemple que son rite … était le gardien de l’arche vénérée des traditions. Mais l’arche était vide ou presque, et depuis bientôt deux siècles, les dignitaires successifs des rites égyptiens se sont employés à la remplir ! Beaucoup y ont en effet trouvé un outil utile à leur cause. C’est particulièrement flagrant sur le plan rituel. Les rituels originaux de Misraïm et de Memphis, à quelques exceptions près qui sont tout de même intéressantes, ont pour principale source le Rite Ecossais Ancien et Accepté (R.E.A.A.). Puis, peu à peu, au fil des décennies, et même des siècles, ils seront « égyptianisés » par certains dignitaires afin de répondre à la vocation affichée des rites égyptiens. De la même façon et dans le même temps, certains occultistes vont apporter à Memphis-Misraïm des éléments nouveaux qui répondent à sa vocation initiatique. Robert Ambelain aimait dire que Memphis-Misraïm est un conservatoire et je crois qu’il avait raison. Un conservatoire de l’hermétisme en particulier. Quant à dire que beaucoup d’occultistes y ont été « initiés », je ne suis pas sûr… Beaucoup y sont venus et en ont pris les rênes, mais la plupart venaient d’ailleurs et s’en sont servi ensuite comme d’un vecteur, d’un véhicule de transmission. » Fin de citation !
Ouah ! Aurions-nous « fauté » pour mériter une telle autopsie ? écoutons encore une réponse de notre Frère Serge Caillet au chroniqueur de France-Spiritualité : « Ce qui est singulier, c’est l’intérêt que portent aujourd’hui certaines obédiences maçonniques, comme le Grand Orient de France, à Memphis-Misraïm. Mais Memphis-Misraïm est un rite maçonnique marginal et il le restera, sauf à cesser d’être ce qu’il doit être, c’est-à-dire occultiste. En 1910, dans un petit livre sur Ce que doit savoir un Maître maçon, Papus écrivait déjà que ce genre de maçonnerie doit être réservé à un petit nombre désireux d’étudier et de pratiquer l’occultisme. À mon sens, c’est bien là le rôle de Memphis-Misraïm en effet. Que de grandes Obédiences permettent à leurs membres de suivre ce chemin en leur sein plutôt que d’aller voir ailleurs est bien compréhensible et on peut même s’en féliciter. Mais l’histoire a souvent montré que cela ne marche jamais bien longtemps… » Fin de citation !
Donc, le Rite de Memphis-Misraïm est occultiste ; mais notre interrogation reste ouverte : est-il égyptien ?
Robert Ambelain aurait-il trouvé la solution égyptienne ?
Tout d’abord et pour information, je signale qu’à ce jour, il existe plusieurs voies de Memphis-Misraïm :
- Celle dite de Robert Ambelain, d’origine franco-anglo-saxonne ;
- La voie Théodore Reuss, d’origine allemande, probablement teutonique (Ordo Templo Orientis) ;
- La voie Jean-Prévost dite de Venise, selon une Charte du 24 janvier 1966 du SUPERUM italien ou G\S\A\;
- La voie orientale, Rite Initiatique Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, tirée des voies classiques franco-anglo-saxonnes, libertaire, épicée de bouddhisme ;
- La voie traditionnelle, classique, mais rattachée à l’International (Willy Raemekers).
On sait historiquement que Robert Ambelain a reçu pouvoirs et patentes de Charles Henry Dupont, GMM de Memphis-Misraïm. Robert se mit au travail et la carence rituélique, à cause probablement des deux guerres mondiales, pousse Robert Ambelain à mixer les substances maçonniques et occultistes pour composer un triptyque rituélique pour les trois premiers Degrés du RAPMM.
Comment ? Tout d’abord, il faut savoir qu’un Rituel aux trois premiers Degrés se construit sur des plans horizontaux, d’où la planche à tracer ; c’est plus tard que l’on passe aux plans verticaux. Ainsi, Ambelain a commencé par un squelette de magie cérémonielle du type symbolique, c’est à dire le rappel d’une tradition, avec une entrée, le salut cérémoniel du Temple et de l’assistance, le rappel du travail maçonnique, l’administratif et la Planche ou bien une autre cérémonie à l’intérieur de celle-ci, le Tronc de la Veuve, la Chaîne d’Union, la fermeture soit la conclusion et le renvoi. En fait, comme un Messe ! Attention : magie cérémonielle ne veut pas dire faire tourner les tables ou les autels, on essaie juste d’harmoniser les sentiments fraternels dans le but de former un égrégore qui sera ressenti agréablement dans la Chaîne d’Union.
Puis, il a adapté ce cérémonial à la Franc-maçonnerie en se basant sur les Rites Français (le placement des Colonnes J et B) et Écossais (signes, paroles et attouchements) et a introduit tous les symboles s’y rapportant, principalement dans son ouvrage la symbolique des outils dans l’Art Royal, au nom original de Thesaurus Latomorum : texte capital qui va bien au-delà du symbolisme classique vers l’interprétation ésotérique et alchimique des trois premiers degrés maçonniques, basée sur le schéma de la Tétraktys pythagoricienne. Ce texte est à étudier particulièrement et rigoureusement par les Maçons de Memphis-Misraïm, s’ils veulent comprendre leurs Rituels. D’ailleurs, connaissez-vous bien les trois outils de l’Apprenti selon Robert Ambelain : le Maillet, le Ciseau et le Levier ? Et surtout pourquoi ces 3 Outils ? (REAA = Maillet-Ciseau-Fil à Plomb)
Ensuite, Robert Ambelain couvrira le tout d’une voûte pseudo Égyptienne avec un livret dit hermétique, tiré d’un mélange d’écrits où l’on retrouve Hermès-Trismégiste (Poïmandrès, le Livre des Morts de l’antique Égypte, etc…), la mythologie hellénique (Hadès, Naos, Égrégore), la Bible (Évangile de St Jean, I.N.R.I., Temple Mystique), les archétypes (Adam Kadmon), les écrits rosicruciens (Sacramentaire du Rose-Croix), la Philosophie, la Qabbale tirée entre autres du Livre de Thot, etc.
Ajoutons à tout cela, une pincée d’occultisme, tout en sachant que la pratique des sciences occultes demande des têtes solides et des intelligences réelles, faute de quoi, l’on se condamne à jouer les apprentis sorciers et à avoir une action destructive autour de soi avant de se détruire soi-même.
Et qu’a fait Ambelain de l’enseignement et de la pratique de l’occultisme ? Il a développé en parallèle et particulièrement, bien séparé de la Franc-maçonnerie traditionnelle, le Martinisme, les Chevaliers Élus Cohen, l’Église Gnostique et bien d’autres Ordres initiatiques, et il recommandait vivement aux Maçons de Memphis-Misraïm d’y adhérer. Ce qui se fit et, bien sûr, se fait toujours, en cachette, même dans les grandes Obédiences. Et si l’on ne s’intéresse pas à ces voies particulières, sans forcément s’y inscrire, spécificité propre à Memphis-Misraïm, et bien c’est comme commencer un roman et refuser de lire les derniers paragraphes ou bien d’être moine bouddhiste et s’interdire l’enseignement du Dalaï Lama ou de tout autre Rinpoché.
Conclusion
La réponse au titre de cette planche se déplace dangereusement du côté de l’imperceptibilité. En ce troisième millénaire, les égyptologues professionnels n’ont pas tout découvert. Pensez-vous que nos pratiques rituéliques leur apporteraient des réponses ? J’ai peine à y croire.
Je préfère considérer, parce que plus constructif, que le rituel nous conduit sur le chemin de la recherche de la Vérité et forme des liens de Fraternité et de partage qui nous permettent une évolution de l’Esprit et du Cœur. C’est un appel au dépassement de soi, à une recherche de notre Être vrai, créant une synergie énergétique.
C’est par le rituel et ses symboles que se découvre le sens du Sacré car rites et Symboles sont intimement liés, « Ils révèlent en voilant et voilent en révélant ! ». Le rituel est donc le moyen et non pas une fin en soi, pour créer un lien entre le visible et l’invisible, un lien entre l’Homme et l’Univers.
L’Énergie, manifestée et domptée lors de chaque tenue, mérite non seulement toute notre attention et tout notre respect, mais surtout, demande à être redistribuée et utilisée par chacun d’entre nous pour cheminer vers la Lumière, ce dont nous sommes redevables en qualité d’Initiés.
Ô Égypte, Égypte ! c’est beau, mais tellement antique et si loin dans le temps…
J’ai dit Vénérable Maître.
Fait à Sanilhac, le 18 février 2024 – Jacques Surbeck