C’est quand la vie et la mort se tiennent la main que l’histoire continue -
C’est quand la vie et la mort se tiennent la main que l’histoire continue
Depuis fort longtemps, j’avais envie de vous parler de mon adhésion à l’association ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité), à laquelle je suis liée depuis une bonne quinzaine d’années.
Et, en ces temps impactés par une pandémie dont nul n’aurait pu imaginer qu’elle s’installe aussi durablement dans nos parcours quotidiens il y a maintenant plus d’un an, je trouve une certaine légitimité à envisager ce court travail qui animera l’une de nos tenues en visio.
Cette introduction, ainsi que les premières pages qui vont suivre, j’avais commencé à les écrire en février dernier. Sans imaginer à quel point la pandémie à laquelle je faisais allusion allait gouverner ma vie et celle de l’homme que j’aime, puisque nous avons été terrassés par le Coronavirus le 18 mars.
Personnellement, il m’aura fallu plus d’un mois pour échapper à la fatigue inimaginable et à la perte d’énergie dans lesquelles nous plonge le Covid, que je n’arrive toujours pas à nommer au féminin.
Quant à mon mari, au moment où j’écrivais ces lignes (c’était le dimanche 18 avril), il était encore hospitalisé.
Mais aujourd’hui, tout va bien, il lui reste juste à reconquérir une énergie encore bien diminuée.
Donc, l’ADMD !
Et la vie et la mort qui se tiennent la main !
L’éphémère de la vie !
L’indicible de la mort !
Cet échange, partie intégrante de nos existences, est repris dans un livre bouleversant du rabbin Delphine Horvilleur : Vivre avec nos morts.
Et c’est ce livre qui a réactivé mon besoin ou mon envie, de venir partager avec vous cette réflexion sur l’ADMD. Dans Vivre avec nos morts, DH rappelle que le mot cimetière en hébreu :
Beith hatH’ayim signifie la maison des vivants. Cet apparent paradoxe souligne combien Vie et Mort sont intriquées. Et il nous offre une très belle image, tirée de ses souvenirs d’étudiante en médecine, lors de ses cours d’embryogenèse. Elle apprenait que les doigts se formaient par mort cellulaire. D’un organe palmé au départ, toute une série de cellules doivent mourir pour que se créent des espaces qui permettent la formation des doigts. Ce processus d’apoptose (je fais ma savante, mais je ne connaissais pas ce mot, cela veut dire : processus physiologique de mort cellulaire programmée) est à l’œuvre aussi dans d’autres organes.
Pour revenir à l’ADMD, il faut savoir que l’association a été créée en 1980. Et elle milite pour que nous puissions tous choisir les conditions de notre propre fin de vie. Conformément à nos conceptions personnelles de dignité et de liberté. Surtout n’oublions pas la subjectivité pour chacun de nous de ces valeurs. Que signifie pour untel mourir dans la dignité ? Ou pour une telle dans la liberté ?
L’ADMD œuvre pour obtenir une loi visant à légaliser l’euthanasie et (ou) le suicide assisté et à assurer un accès universel aux soins palliatifs. Avec le vote de cette loi (dont on a d’ailleurs beaucoup parlé ces derniers temps), les Français seraient enfin maîtres de leur ultime liberté, comme déjà sont libres les Néerlandais, les Belges, les Luxembourgeois, et les Suisses. Et comme sont libres depuis le 21 Mars 2021 les Espagnols.
Le principal objectif de l’ADMD demeure que chacun/chacune puisse, à sa stricte demande, bénéficier d’une mort consciente, sereine et digne, la dignité, comme je le disais plus haut, toute subjective, restant une convenance envers soi dont chacun est seul juge.
Et cette demande d’aide à mourir doit être évidemment libre, consciente, réitérée et révocable à tout moment. C’est une liberté dont chacun usera ou n’usera pas.
Si cette loi existait, tous les drames longuement évoqués dans les médias ces dernières années auraient pu être évités.
Je parle de Chantal Sébire, atteinte d’esthésioneuroblastome, une forme rare de cancer, incurable qui rongeait littéralement son visage. Elle s’est suicidée en absorbant une dose mortelle de barbituriques le 19 mars 2008.
Je parle de Vincent Humbert, victime à 19 ans d’un grave accident de la route qui va le laisser, après 9 mois de coma, tétraplégique, aveugle et muet, mais avec toute sa lucidité. Il écrit, grâce à ses voies de communication restées fonctionnelles et avec l’aide de son animatrice hospitalière, à Jacques Chirac, alors président de la république, pour lui demander un « droit de mourir ». Ce sera en vain. Sa mère, avec l’assistance de son médecin, abrègera ses souffrances en lui administrant le 26 septembre 2003 d’importantes doses de pentobarbital de sodium. Ce qui entraînera de lourdes conséquences juridiques tant pour sa mère, Marie Humbert, que pour son médecin le Docteur Chaussoy. Il y eut un procès retentissant, qui donna lieu, après moultes péripéties, à un non-lieu.
Je parle de Vincent Lambert. Je pourrais même dire de l’Affaire Vincent Lambert tant son histoire de fin de vie est liée au système médico-politico-judicaire des années 2010. Vincent Lambert est mort le 11 juillet 2019. Il avait été victime lui aussi, tout comme Vincent Humbert, d’un accident de la route qui l’a plongé dans un état végétatif chronique dit syndrome d’éveil non-Répondant. Les membres de sa famille rentrèrent dans un conflit d’une rare violence autour de son corps, opposant d’une part son épouse et l’un de ses neveux (ils s’appuyaient sur les déclarations de Vincent qui n’avait jamais caché s’il devait lui arriver malheur son refus de tout acharnement thérapeutique), et d’autre part ses parents, fervents catholiques intégristes. Vincent Lambert décéda grâce aux décisions collégiales prises par le service hospitalier qui l’hébergeait depuis plus de 6 ans, 8 jours et demi après l’arrêt des traitements et de l’alimentation qui le maintenaient en vie. Sur cette affaire-là aussi, les médias ont largement communiqué.
Je parle d’Alain Coq, atteint d’une maladie orpheline incurable, qui avait défrayé les chroniques en déclarant, pour appuyer sa demande et défendre le combat mené par l’ADMD, vouloir diffuser sa mort en direct sur les réseaux sociaux, en en faisant une bataille publique. Arriver à cette extrémité pour se faire entendre me paraît inhumain. Alain Coq s’est éteint en juillet 2019, sans avoir pu bénéficier de l’aide à mourir (n’ayons pas peur des mots : on peut dire suicide assisté) ainsi qu’il le souhaitait.
Et je pourrais citer tant d’autres cas.
J’entends, bien entendu, l’argument suivant que je partage souvent : que celui/celle qui part désire de toutes ses forces de vivre jusqu’au dernier souffle pour partager avec ceux qu’il aime ces derniers instants précieux.
Mais quand les notions de dignité, de dégradation physique, mentale ou psychologique surgissent, et qu’à ce moment-là, il n’est plus question de communication ni de partage, pourquoi être privé de la liberté ultime ?
Il me semble qu’en 2021, refuser cette liberté à qui la demande est d’une cruauté insupportable.
Et même la loi Léonetti-Claeys dite loi Léonetti, votée en 2005, puis modifiée en 2016, ne répond pas aux souhaits de l’ADMD. Cette loi qui s’érige en juge du désir de mourir en paix, ne permet qu’une sédation profonde et continue jusqu’au décès du malade mais ne répond pas aux demandes légitimes d’aide à mourir, tranquillement, sereinement, chez soi, entouré des siens, et surtout en toute légalité.
Notre sacro-sainte devise Liberté/Egalité/Fraternité est bafouée par les contempteurs de cette position.
Pourquoi est-elle bafouée ?
Parce que : LIBERTE.
On devrait, on pourrait choisir de mourir plutôt que subir une vie que l’on juge indigne (je rappelle encore une fois que le curseur de l’indignité appartient à chacun). Et c’est parce qu’on est amoureux de la vie qu’on désire lutter pour ce choix.
Donc liberté bafouée, piétinée, niée.
Parce que : EGALITE.
Malheureusement, personne ne jouit des mêmes possibilités devant le choix pour lequel se bat l’ADMD. Si on a un peu d’argent et que l’on peut payer entre 7000 et 10.000 €, on peut s’accorder cette liberté. De choisir, parce qu’on ne veut plus de cette maladie de Charcot dont on connait l’issue inéluctable, parce qu’on ne veut plus imposer son corps dégradé à son compagnon, sa compagne, ses enfants, parce qu’on ne peut pas supporter l’idée que dans 2 ou 3 ans, on ne reconnaitra pas celui ou celle qui nous accompagne, parce que l’idée de finir en EHPAD nous est tout simplement intolérable Ces 7 ou 10.000 €, c’est le coût par exemple du choix du suicide assisté en Suisse. Liberté qui est refusée à ceux qui ne détiennent pas ce pouvoir d’achat. Liberté réservée donc à ceux qui peuvent se l’offrir.
Donc égalité bafouée, piétinée, niée.
Parce que : FRATERNITE.
On aime l’amour. On aime l’amitié. On aime l’entraide. On exige le respect pour soi mais aussi envers les autres. Accompagner un mourant est une démarche si difficile, épineuse, délicate. Que dire ? Se taire ? Partager ? Être dans la parole ? Les caresses ? Et si cet accompagnement se révèle être un long parcours, il faut savoir garder de la force pour soi et savoir la transmettre. Si on part du principe qu’on reste dans le silence et que surtout on ne pose pas de mots sur cette demande et ce désir d’en finir, on trahit celui qu’on aime.
Donc fraternité bafouée, piétinée, niée.
Je reviens, avant de terminer, sur l’infini développement de ma réflexion : les fantômes, la consolation ;
Vivre avec nos morts, c’est aussi les garder en mémoire. Ce n’est pas seulement vivre avec eux mais par eux. Plus on s’obstine à ignorer nos morts, plus ils s’accrochent. Le dialogue est permanent entre la vie et la mort. DH pense que les morts nous tourmentent tant qu’on ne les pas recousus à nos vies. Dans la mystique juive, on nomme les morts Dibbouk, ce qui signifie adhésif, attaché. Ils sont comme un scotch, une présence qui ne vous lâche plus. Et il faut donc avoir pris soin de débrider ou de découdre tout ce qui pouvait devenir une entrave, un lien impossible à découper. Les Juifs au cimetière disent une seule et même prière : « les morts sont sous terre et ils sont au ciel. Ils sont ici et ailleurs, leur âme immortelle s’unit au divin, mais les disparus n’existent plus que dans nos souvenirs. »
Il faut qu’il y ait paix, sérénité, pour que nos morts soient libres eux aussi de partir, qu’ils ne soient pas entravés par les liens que nous chérissons.
Ce qui fait de nous des êtres humains, ce sont nos grandeurs et aussi nos ratés. Comme en maçonnerie.
Faisons de nos morts non pas de super-héros ou des super-méchants, mais seulement des super-humains.
Comme d’ailleurs dans la Bible, où tous les personnages sont construits sur des défaillances. Issac est aveugle. Jacob boîte. Moïse bégaie. David est moralement très critiquable.
Leur vulnérabilité en fait des modèles d’humanité, comme nous, humains, qui vivons avec ce qui se casse, ce qui manque, ce qui rate.
Le propre de la maturité, c’est d’accepter de faire avec la délivrance, le manque, l’absence.
Le propre de la mort, c’est de faire avec la vie.
Et avant de conclure, laissez-moi vous dire avec humilité, que malgré tout un long cheminement sur ce sujet, j’ai été terrifiée, et le mot n’est pas trop fort, par la confrontation avec l’idée de la mort de mon homme.
Et ce qui me terrifiait le plus, puisqu’alors qu’il était en soins intensifs, et à la limite d’être intubé, c’était de me dire que, si cela arrivait, je risquais de ne plus jamais pouvoir lui parler, s’il ne ressortait pas du coma artificiel dans lequel il risquait d’être plongé.
Du coup, se pose évidemment à moi cette question de mon appartenance à l’ADMD. Et je ressors totalement fortifiée dans mes choix.
Si un jour, je suis confrontée à une décision de ce type, j’aimerais pouvoir envisager ma fin de vie en pleine conscience. Si par contre je suis atteinte d’une maladie à l’issue inéluctable qui altérerait mon cerveau ou me rendrait totalement dépendante à long terme, je souhaiterais pouvoir librement choisir en toute lucidité.
Et pour illustrer cette pleine conscience dont je vous parle, permettez-moi de vous lire la lettre qu’Axel Kahn a partagé vendredi dernier, le 21 mai, sur sa page Facebook. Axel Kahn est un scientifique, médecin généticien, cancérologue et président de la Ligue contre le cancer. Il est atteint d’un cancer incurable mais qui préserve toute sa lucidité et est en train d’arriver dans les derniers jours de sa vie. Il dit aurevoir à ses amis dans cette lettre bouleversante, qu’il a nommée Le bout du chemin de la façon suivante :
« L’attitude face à la mort lorsqu’elle n’est pas d’actualité est très diverse selon les êtres. La plupart des gens jeunes en exorcise jusqu’à l’idée, ce qui constitue une mesure d’autoprotection efficace. Cette insouciance de la mort est à peine entamée par les deuils des anciens, rangés dans une autre catégorie que les vivants.
Certains à l’inverse vivent dans la terreur de la camarde qui jette son ombre sur leur vie entière.
Les métiers de la mort (pompes funèbres, fossoyeurs, notaires …) la banalisent et s’en dissocient en général. De même les soignants et médecins. Je suis dans ce cas, la mort m’est habituelle depuis si longtemps, elle ne m’obsède pas.
Il n’empêche, j’ai depuis longtemps la curiosité de ce que sera mon attitude devant la mort. IL y a ce que l’on désire qu’elle soit et ce qu’elle est. Des croyants sincères qui ne doutent pas du royaume de Dieu sont submergés par la terreur lorsqu’elle s’annonce.
Tel n’est pas mon cas. Je vais mourir bientôt. Tout traitement à visée curative, ou même frénatrice, est désormais sans objet. Reste à raisonnablement atténuer les douleurs. Or je suis comme j’espérais être : d’une totale sérénité. Je souris quand mes collègues médecins me demandent si la prescription d’un anxiolytique me soulagerait. De rien, en fait, je ne ressens aucune anxiété. Ni espoir – je ne fais toujours pas l’hypothèse du bon Dieu – ni angoisse. Un certain soulagement plutôt.
Selon moi, limiter la vie au désir de ne pas mourir est absurde. J’ai par exemple souvent écrit que lorsque je ne marcherai plus, je serai mort. Il y aura un petit décalage puisque je ne marche plus, mais il sera bref. Alors, des pensées belles m’assaillent, celles de mes amours, de mes enfants, des miens, de mes amis, des fleurs et des levers de soleil cristallins. Alors, épuisé, je suis bien.
Alors, souriant et apaisé, je vous dis « au revoir, amis. »
Enfin je voudrais revenir à notre rituel. Il y est question en permanence de vie et de mort : le cabinet de réflexion et ses symboles, la rédaction du testament philosophique, la cérémonie d’initiation, où littéralement on apprend à mourir, le signe d’apprenti d’une telle évidence avec sa symbolique de la gorge tranchée (ce qui d’ailleurs m’avait beaucoup perturbée à l’époque), le Poignard Rituel, pointé sur le cœur lors de la lecture du serment d’entrée en maçonnerie, l’Epée flamboyante du Vénérable et les épées du Grand Expert et du Couvreur, l’Architecte Eternel, auteur de tout ce qui a été, est ou sera, donc maître du passé, du présent et du futur, le Tombeau pour les vices, et même l’Egypte, veuve et d’hommes et de dieux, et que nous, maçons, protégeons en conservant le dépôt de la terre de Memphis
Et je terminerai par l’extrait d’un poème de Marc Vella, le pianiste nomade, avec qui j’ai fait un stage il y a 15 jours, ce pourquoi je n’étais pas avec vous lors de notre dernier rendez-vous. Ce poème s’appelle : Le chant des libres :
« …A ceux qui aiment aimer, tout est révélé.
Rien ne s’oppose, tout s’épouse,
Là est le secret en lequel se nichent tous les miracles.
Oui, soyons Amour avec tout
Car tout est en tout
Rien n’est séparé.
De ténèbres à lumière, tout est sacré.
La plus belle des prières est de s’émerveiller.
Enfin, lorsque notre temps viendra,
Nous mourrons, dans la vie,
En touchant son silence.
Et pour tous ceux
Qui un jour après nous viendront,
Nourris par notre joie de ce divin mariage
Avec le monde et sa magnificence
Ils oseront l’inconnu, sans vertige,
Et garderont de nous le souvenir d’un éternel printemps.
Ainsi demain
Ceux qui seront honorés
Ne seront plus des morts
Mais des vivants. »
La vie et la Mort se tiennent les mains.. Parfaitement, j’ajouterai que L’on meurt comme l’on a vécu. Il est très important d’avoir une dignité de vie si on désire mourir dignement. et la dignité de vie consiste à exprimer son autonomie, sa liberté intérieure face aux diktats des tendances animales de l’humain qui persistent en tout un chacun: La peur, la vanité, l’avidité, les abus de pouvoir sur autrui, la fausseté, ses ignorances et ses illusions de toutes sortes, les conditionnements des croyances sociales, ancestrales. Lorsqu’on a vécu sous la dépendance de ces tyrannies, l’amour est impossible et l’approche de la mort peut refléter son impuissance face à l’adversité. Et la capacité d’aimer, la compassion qui est l’amour en action et en réalisation concrète sont les premiers pas vers la dignité. L’euthanasie ou le suicide assisté ne sont que des artéfacts pour fuir la réalité. Et la réalité est sacrée, car sa perception nous permet d’aller vers la clarté et la Vérité.