François Rabelais, homme de lettres et d’humour, maître de l’Art Royal -
MORCEAU ARCHITECTURE RABELAIS – RL NETJER – G∴L∴T∴I∴
François Rabelais, homme de lettres et d’humour, maître de l’Art Royal
Démesure, dérision, transgression, excès de langage et au bout du compte… soif d’une vérité supérieure et accès aux Mystères.
La vie de François Rabelais commence de manière bien conventionnelle. Fils d’un avocat, riche propriétaire terrien, il est né vers 1494 à la métairie de la Devinière, non loin de Chinon. Sa vie durant, il reste très attaché à son terroir familial et son œuvre fourmille en souvenirs et en allusions aux gens de justice qu’il côtoyait.
Comme tout fils de bonne famille de l’époque, il devient novice et rejoint les Cordeliers au couvent de la Baumette (aux portes d’Angers). Fini la douceur du terroir, là, il découvre horrifié le carcan de la scolastique et la poigne de fer de l’institution religieuse. Tout est étriqué, son esprit affamé et déjà libertaire a du mal à trouver sa place. Il observe, courbe l’échine, s’adapte tant bien que mal, puis découvre que « Le savoir hydrate et nourrit » comme le dira plus tard Gargantua.
C’est en qualité de prêtre et de frère mineur, qu’il intègre le couvent du Puy Saint Martin à Fontenay le Comte. Franciscain durant douze ans, il acquiert une grande culture, cependant sa soif de connaissance et sa passion pour le grec ancien le rendent suspect. Il se délecte avec Platon, Eschyle, Sophocle, Euripide et bien sûr la bible écrite dans sa première mouture grecque… mais la période est hostile aux lettrés, la redoutable Sorbonne lutte contre l’étude de l’Écriture Sainte dans les textes originaux par crainte des interprétations hérétiques. Fin 1523, elle retire tous les livres de grec. Ce coup bas à l’érudition révolte Rabelais, qui le fait savoir haut et fort. Les répliques ne se font pas attendre. Il doit s’enfuir de Fontenay le Comte.
Après bien des déboires, il obtient l’autorisation du pape, pour entrer chez les Bénédictins de l’abbaye vendéenne de Saint Pierre de Maillezais. L’évêque Geoffroy d’Estissac, plein de mansuétude et d’admiration pour cet esprit brillant, fait de lui son secrétaire et surtout assure sa protection. Rabelais l’accompagne dans tous ses déplacements. Plus que tout, il apprécie de se mêler au peuple dont les mœurs, les dialectes, la faconde, l’insouciance le rendent euphorique.
Rabelais ronge son frein et patiente pour secouer les puces des règles monastiques et dévorer la vie à pleines dents. L’occasion lui est donnée à l’abbaye de Ligugé vers Poitiers. Là, il rencontre le poète Jean Bouchet, un joyeux drille, qui l’initie aux joutes verbales. Ensemble, ils participent à des fêtes gigantesques, véritables bacchanales, qui lui font dire : « Je bois comme un Templier. »
« Sauter, danser, faire des tours
Et boire vin blanc et vermeil,
Et ne rien faire tous les jours
Que compter écus au soleil. »
Toutefois, si la fête est enivrante, taraudé par un insatiable besoin d’apprendre, Rabelais revient vite à d’autres réalités. La halte licencieuse est courte. Un matin, il prend la route de la Faculté de Poitiers pour compléter ses études de droit. Sur place, le jargon juridique et les travers des hommes de loi, déclenchent chez lui un torrent de critique ironique : « Toute leur vie estoit employée non par loix, status ou reigles mais selon leur vouloir et franc arbitre. »
Vers 1528, il revêt l’habit de prêtre séculier (qui n’appartient à aucun ordre), ce qui lui permet, pendant deux ans, de voyager dans des villes universitaires sans avoir de fil à la patte. Après des haltes plus ou moins prolongées à Bordeaux, Toulouse et Paris, en septembre 1530, il rejoint la faculté de Montpellier pour étudier la médecine.
Anatomie, physiologie, physique, histoire naturelle François Rabelais fait feu de tout bois et devient bachelier au bout de six semaines. Candidat à la licence, il est chargé d’un cours et commente, dans le texte grec, Hippocrate et Galien, une innovation audacieuse, parce jusqu’alors on étudiait ces auteurs dans une mauvaise traduction latine, ce qui entraînait de nombreux contresens.
Deux ans plus tard, il est nommé à Lyon, médecin attaché du « Grand Hostel Dieu de Nostre Dame du Pont du Rosne ». Cette ville est une manne pour un écrivain car les imprimeurs y jouissent d’une solide renommée. Rabelais ne perd pas de temps, il publie plusieurs traductions et, sous le pseudonyme d’alcofibas Nazier, anagramme de François Rabelais, il édite le premier Livre de son œuvre majeure : « Les Horribles et épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel, roi des Dipsodes ». Mais voilà, ce qui devait arriver, arriva, il est censuré par la Sorbonne. Ce n’est pas bon signe car l’inquisition n’est pas loin derrière. Heureusement, le cardinal Jean du Bellay le prend sous son aile et l’emmène à Rome.
De retour à Lyon en 1533, lui qui pratique et enseigne aussi l’astrologie, édite un almanach parodique la : « Pantagrueline prognostication » au Chapitre III – Des maladies de ceste année
On peut lire :
Ceste année les aveugles ne verront que bien peu, les sourdz oyront (entendrons) assez mal : les muetz ne parleront guières: les riches se porteront un peu mieulx que les pauvres, & les sains mieulx que les malades… Vieillesse sera incurable ceste année à cause des années passées.
L’impertinent calendrier fustige les dérives des tireurs d’horoscope qui se moquent de la crédulité du peuple. C’est un franc succès, les intellectuels se l’arrachent.
Malgré les facéties verbales de Rabelais, on ne peut mettre en cause son sérieux et son engagement au service de la recherche. Pour traquer la vérité et les secrets de la nature il n’hésite pas à transgresser au nom de la science et s’expose à de graves sanctions en disséquant des cadavres : « Par fréquentes anatomies (dissections), acquiers-toi la parfaite cognoissance de l’autre monde qui est l’homme.
L’époque est hostile aux pensées non-conformistes. D’autant qu’en 1534, année de publication de « La vie Inestimable du Grand Gargantua, père de Pantagruel », éclate l’affaire des « Placards » activée par des protestants qui placardèrent des critiques contre la messe jusque chez le roi. Cette bravade déclenche des persécutions contre les suspects d’hérésie. François Rabelais est en ligne de mire. Son deuxième livre est déclaré hérésiarque par la Sorbonne qui avait déjà condamné : le Pantagruel. Aussi, en Février 1535, malgré un séjour lyonnais fructueux qui lui permit de trousser une jeune veuve et de lui faire trois enfants (Théodule, François, Julie), Rabelais s’éclipse.
On le retrouve à Rome en Juillet, en compagnie de son ami Jean du Bellay. Il saisit l’occasion pour rencontrer le pape Clément VII qui accepte de lever l’accusation d’apostasie et d’irrégularité lancée contre lui. Le pape : « plumage blanc à trois aigrettes », plein de clémence, lui donne l’absolution et l’autorise à exercer la médecine, à condition toutefois de n’utiliser « ni cautère ni bistouri ». Pas facile pour un médecin mais « à cheval donné on ne regarde pas les dents ! » Le séjour se prolonge et le cherchant insatiable en profite pour apprendre l’Arabe.
Dès son retour en France, l’évêque de Paris lui offre asile dans l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés. Il y reste peu et revient dare-dare à Lyon pour retrouver sa famille. Durant cette période, il enseigne l’anatomie. Cependant, la vie sédentaire n’est pas son fort. Tiraillé par un impérieux besoin de découvrir, il part à Montpellier. Il y fait des merveilles et acquiert une grande réputation en enseignant les « Pronostics » d’Hippocrate dans le texte grec. Les poètes et les humanistes le célèbrent, Etienne Dolet écrit : « Il est la gloire et l’honneur de la médecine ».
Puis Guillaume du Bellay, seigneur de Langey et gouverneur du piémont l’engage. Fin 1539, Rabelais part avec lui à Turin. Il est son médecin, son conseiller, son attaché littéraire et surtout son ami. À la suite du décès de son protecteur, il obtient une cure à Saint-Christophe-du-Jambet. Mais, la Sorbonne ne lâche pas sa proie. Une fois de plus, en 1543, elle condamne et le Gargantua et le Pantagruel. Période dangereuse, il fait face autant que faire se peut mais après la condamnation du Tiers Livre, il s ‘enfuit à Metz pour y exercer la médecine dont il vit bien médiocrement.
Rabelais n’est pas un homme sans ressource, loin s’en faut. Le 19 septembre 1545, il obtient du roi François Ier, le privilège d’imprimer librement ses livres pendant dix ans. Cependant, la Lorraine n’est pas une corne d’abondance, il vit chichement et demande de l’aide à Jean du Bellay. Son ami répond avec empressement et l’emmène une nouvelle fois à Rome en 1548, où il rencontre des alchimistes et des gens de mestiers qui partagent avec lui leurs secrets.
Le 18 janvier 1551, grâce à la protection de Jean du Bellay la cure de St-Martin de Meudon lui est attribuée, avec l’avantage de pouvoir toucher les revenus sans y séjourner en permanence.
L’année suivante, il publie son Quart Livre, aussitôt édité, aussitôt censuré par les Sorbonnards. Il passe outre et entreprend l’écriture du Cinquiesme Livre qu’il n’achève pas. La mort le cueille en avril 1553.
Revenons sur son œuvre. Ses écrits plein de verve mâchent la chair des mots et invite les lecteurs « à rompre l’os et sucer la substantifique moelle et à le faire de bonne humeur… pour ce que rire est le propre de l’homme ». Il stigmatise les travers de la nature humaine.
« Mais écrivez ce mot dans votre cervelle avec un stylet de fer, que tout homme marié est en danger d’être cocu. Le cocuage est l’apanage naturel du mariage. »
De ses livres jaillit un langage nouveau, émaillé de bagatelles et d’outrances destinées à capter l’attention du plus grand nombre. Ce sont des ouvrages uniques, inclassables, contestataires où le gigantisme et les rencontres sont prétextes à de scènes burlesques aux multiples rebondissements, riches d’un message humaniste. François Rabelais est, à la Renaissance, le fleuron de l’esprit français et joue un rôle éminent dans la transformation de notre langue.
La fable développée dans ses ouvrages est simple : Un bon géant, Gargantua, a un fils Pantagruel, qu’il fait élever soigneusement. Parvenu à l’âge adulte Pantagruel bataille, discute, dispute. Pantagruel et Panurge entreprennent un voyage initiatique, comme le dit Rabelais, « dans la merde du monde ». L’alibi est le mariage de Panurge. Ce dernier veut s’assurer de son avenir marital. Or, on lui annonce qu’il sera cocu. Dans le déni, il tente toutes sortes de divinations. Plus il consulte et plus Panurge doute. Plus il doute, plus il veut prendre femme. Pour en avoir le cœur net, Pantagruel et Panurge décident d’aller voir un célèbre oracle et le voyage commence. Voilà pour la trame.
Beaucoup d’intellectuels de l’époque ont vu dans ses ouvrages des messages codés que l’on s’est évertué à décrypter, relatifs notamment à l’identité des personnages : Jean des Entommeures est assimilé au cardinal de Lorraine, Gargamelle à Marie d’Angleterre, Gargantua à François Ier, Graudgousier à Louis XII, Pantagruel à Henri Il, le roi Pétaut à Henri VIII d’Angleterre, la jument de Gargantua à la belle duchesse d’Étampes !
Rabelais décoche ses flèches aux devineurs d’énigmes qui s’amusent à « calefreter des allégories qui oncques ne feurent songées. Chacun y va de son opion. »
Debout, yeux ouverts, la plume acerbe, face à une société pleine de préjugés, au prétexte de l’éducation de Pantagruel, Rabelais dénonce celle des gentilshommes, qui passent leur temps à manger, boire, dormir, jouer, paillarder, se promener et surtout à marmonner des patenôtres.
Il tourne en dérision les principes éducatifs qui apprennent « à lire sa charte si bien qu’il la disait par cœur au rebours,…» et des notions empilées dans les livres de scolastique, au point de rendre « fou, niais, tout rêveur…».
En humaniste, Rabelais critique la guerre et ses motifs. Dans le Gargantua, la guerre de picrocholine débute par une querelle entre les fouaciers de Lerné, marchands de galettes, qui injurient et blessent les bergers de Grandgousier. Picrochole. Ce tyran mégalomane, entraîné par ses rêves de conquête, résiste aux conseils les plus avisés, et lance l’assaut sur le pays de Grangousier : « Sus, sus, – dit Picrochole – qu’on dépêche tout et qui m’aime me suive ! »
Ce combat burlesque parodie les romans de chevalerie. « Les uns mouraient sans confession, les autres criaient à pleine voix : « Confession ! Confession ! J’avoue mes péchés ! Miséricorde ! Je me remets en tes mains, Seigneur ! »
La critique du clergé, peu attaché à son sacerdoce, est acerbe : « Si forts étaient les cris des blessés que le prieur de l’abbaye sortit avec tous ses moines »
L’attitude affectée des religieux l’irrite : « Ils marmonnent grand renfort de légendes et de psaumes, nullement par eux entendus, ils comptent force patenôtres, entrelardés de longs Ave Maria, sans y penser ni entendre. »
Leur fainéantise est le produit naturel de leur luxure « seulement l’ombre du clocher d’une abbaye est féconde ! »
Pas de tabou chez Rabelais ! Dans le chapitre 30 du Pantagruel, il revisite allègrement la descente aux enfers, cher à Homère, Virgile ou Dante. Voici le contexte : Suite à la guerre des Dipsodes, Epistemon, précepteur de Pantagruel, a la tête coupée et séjourne aux Champs Élysées. Sa tête est rafistolée et il raconte ce qu’il a vu : …Priam vendant les vieux drapeaux, Trajan pêcheur de grenouilles, le pape Alexandre preneur de rats, le pape Urbain croquelardon, Mélusine souillarde de cuisine, Cléopâtre revendeuse d’oignons…
En cette façon, ceux qui avaient été gros seigneurs en ce monde ici, gagnaient leur pauvre, méchante et paillarde vie là-bas. Au contraire les philosophes et ceux qui avaient été indigents en ce monde, de par de là étaient gros seigneurs en leur tour.
Rabelais emboîte allégrement les mythes les uns dans les autres, fait glisser ses personnages et s’empare du lecteur, promu candidat aux mystères. Il l’entraîne au fil des pages dans le gigantisme, la recherche du Graal, le mythe de la Chute, le mythe orphique, l’androgynat primordial, la pierre philosophale…
Quant à Panurge, le mauvais sujet… dans les deux premiers livres, il harcèle ses victimes de prédilection que sont les théologiens et les docteurs d’Université. Pour se délasser, il assomme les troupes du guet, jette un cornet de puces dans le cou des dames, graisse les beaux habits des passants, à moins qu’il ne se rende dans quelque tripot pour y tricher aux cartes. « Malfaisant, pipeur, beuveur, batteur de pavé, ribleur ». Au fil des pages, ce personnage évolue vers une rédemption, qui le mènera jusqu’au Temple de la Dive bouteille.
Si les anecdotes sont fort drôles, il ne faut pas se fier aux apparences, ni être prisonnier de l’histoire. Sous la farce, les péripéties donnent lieu à une critique acerbe de la société de l’époque, d’ailleurs la Sorbonne ne s’y est pas trompée.
Dans le Tiers livre et le Quart livre Pantagruel fait figure de sage. Il utilise le silence et témoigne avec sapience. Par sa seule présence, il dénoue les projections parfois scabreuses de Panurge, l’invite à se maîtriser par la méditation et à acquérir une meilleure connaissance de soi et enfin lui conseille de vivre dans la jouissance sereine du monde ordinaire, libre de tout attachement, de tout désir et de toute peur. Ce qui n’est pas sans nous rappeler certains préceptes du bouddhisme.
Dans le Cinquiesme Livre, les fumées du grotesque dissimulent la porte du sanctuaire à ceux qui n’en seraient pas dignes et François Rabelais laisse deviner derrière l’écrivain un maître de l’Art Royal. Il le confirme à travers la queste qui conduit Pantagruel, Panurge, frère Jean et leurs compagnons à « l’île désirée », où est dissimulé le Temple de la Dive Bouteille, en voici la description :
Ils pénètrent dans un temple souterrain, ils descendent cent huit marches en spirale, tournant constamment sur leur gauche de deux puis trois et quatre degrés.
Panurge demande : Est-ce ici ?
– Combien de degrés avez-vous comptés ? dit la Magnifique Lanterne
– Un, puis deux, puis trois et quatre ! répond Panurge
– Combien cela fait
– Dix
– Par la même tétrade pythagorique multipliez ce qu’avez résultant, dit la lanterne
– Ce sont Dix, Vingt, Trente, Quarante
– Combien fait le tout
– Cent
– Ajoutez le cube premier, …huit ; au bout de ce nombre fatal nous trouverons la porte du temple. Et notez que c’est la vraie psychogonie de Platon tant célébrée par les académiciens.
100 plus 23 = 8, donne 108, un nombre maçonnique signifiant que l’on retrouve notamment dans les 108 carrés noirs et blancs du Pavé mosaïque. Rien n’est anodin ! Continuons…
Comment le temple estoit esclairé par une Lampe admirable… « Chascune (lampe) estoit plaine d’eau ardente (eau de vie) cinq fois distillée par alambic serpentin, inconsomptible (ne pouvant être consumée) comme l’huille que jadis mist Callimachus en la lampe d’or de Pallas… (lampe pouvant brûler toute une année, sans qu’on eût à en renouveler l’huile)… »
Selon la description de Rabelais, cette lampe contient une Eau-de-Vie. Les premières distillations la purifient et la débarrassent de sa signature pour la transformer en Mercure alchimique. Au cours des 5 e 6 e et 7 e opérations, au fond du ballon, il reste un produit huileux verdâtre, nauséabond : le Caput Mortem ou Huile de Mort. Ainsi, l’alcool de vin purgé de son huile de mort devient Eau de Vie, un indispensable intermédiaire dans les opérations alchimiques.
Ensuite, la prêtresse revêt Panurge de l’habit des néophytes admis aux mystères. À la suite de quoi, Panurge se lave trois fois le visage, saute trois fois. Il tape sept fois « cul contre terre », tourne neuf fois autour d’une fontaine dotée de sept colonnes dédiées aux sept divinités et aux sept planètes de la tradition classique : Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure et Lune. Cette fontaine fabuleuse donne le goût du vin à l’eau, pour celui qui n’est pas prêt, mais devient une clé ésotérique pour celui qui a suivi l’ascèse pantagruélique.
Ensuite, Panurge est conduit jusqu’à une porte d’or qui ouvre sur une chapelle aux proportions parfaites. S’y trouve une autre fontaine, heptagonale, réceptacle de la Dive bouteille.
La princesse Bacbuc ordonne : « Trinch », « Buvez ». L’impétrant incorpore le breuvage alchimique destiné aux immortels. « Par le vin divin on devient » énonce Rabelais. « Abreuvez-vous aux sources de la connaissance. Connaître pour aimer, c’est le secret de la vie. «
Tout dans son œuvre de Rabelais nous laisse supposer qu’il fut un initié. Voici un extrait auquel vous allez être sensibles :
Quand les gardes de la reine Quintessence interrogent Panurge avant de lui donner l’accolade, ils s’écrient : Compère de quel pays viens-tu ?
Beau Cousin, je suis tourangeau.
A-t’il eu peur ?
Panurge réplique : J’en ai eu davantage que les soldats d’Ephraïm qui ne surent pas bien prononcer Schibboleth.
Vous avez reconnu le mot de passe utilisé par les Compagnons constructeurs de cathédrales. Ce mot, qui demeure, aujourd’hui encore, celui de notre grade de Compagnon.
Et puis, dans de nombreux chapitres, les personnages de Rabelais échangent des signes de reconnaissance : « Il faisait, hors la bouche, avec le pouce de la main dextre, la figure de la lettre grecque Tau, par fréquentes réitérations ».
Les livres de Rabelais peuvent être étudiés comme un long cheminement dans l’œuvre hermétique. Les prologues, surtout celui de Gargantua, l’indique clairement : « Faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est déduit ». « Lors connaîtrez que la drogue dedans contenue est bien d’autre valeur que ne promettait la boîte, c’est-à-dire que les matières ici traitées ne sont tant folâtres comme le titre au-dessus prétendait. »
Maître de l’Art Royal, Rabelais a choisi pour devise cette sentence profonde qui est un des grands arcanes de la magie et du magnétisme : « Noli ire, fac venire ». « Ne va pas, fais qu’on vienne. »
Même les affres de l’agonie ne font pas perdre à Rabelais son goût pour la farce. Dans son testament, il fait une ultime pirouette : « Je n’ai rien vaillant, je dois beaucoup, je donne le reste aux pauvres. »
Sur sa tombe aujourd’hui disparue, une épitaphe aurait été gravée : « Il s’est joué des hommes, il s’est joué des dieux avec tant de bonne grâce que ni les hommes, ni les dieux n’ont paru blessés par ses traits ».
MM